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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures



présentation

III - 8.4 Le retournement : les limites de la foi

En bonne logique progressiste, il ne saurait exister d’ethnologie si cette discipline est bien l’étude compréhensive des cultures par la civilisation du progrès. Dans la pensée positive, les sociétés qui font l’objet de l’investigation ethnologique relèvent d’une manière de préhistoire de la civilisation. Ce sont des ébauches en attente de vérité, passibles, pourtant, dans leur nature primitive, des schémas explicatifs qui permettent de rendre compte de la civilisation. Celui, par exemple, caractéristique de l’ère moderne, qui réduit le réel à l’économique. Le rôle de l’ethnologue positif, parfois descendu de l’avion avec tracts ou manifestes, c’est de préparer la venue du progrès. À l’opposé de cette disposition missionnaire, l’ethnologue peut se convertir. Le type de ce converti pourrait être l’ingénieur parti construire un barrage chez les “primitifs” et qui se met à l’école de ces primitifs : ils ont quelque chose qui n’est pas dans son bagage : “On ne m’avait jamais appris ça à l’École des Ponts” (Le Monde sans visa du 2 février 1991). Il épouse leur cause, parfois leur fille, se pose en médiateur - en effet - lors des conflits avec le pouvoir colonial ou ses avatars et tente quelquefois d’abjurer. Certes, sa position de puissant (constructeur démiurge) lui facilite un contact que l’ethnologue moyen, qui n’a souvent que sa fraternité à offrir en partage, établit à grand-peine. Parti avec des certitudes, il fait l’expérience d’une humanité qui le tire de lui-même. Plusieurs grands classiques de la littérature ethnologique sont ainsi l’œuvre de missionnaires “retournés”, et l’on peut considérer le frère Bernardino de Sahagun comme un fondateur de la discipline (il pratiquait la confrontation systématique des sources, travaillait dans la langue indigène, exposait en espagnol et en nahuatl, traduisait sous le contrôle de jeunes aztèques bilingues). La foi positive doit être autrement plus impérieuse si l’on en juge par la rareté de tels retournements chez ses obédients, qui s’intéressent aux primitifs visiblement moins pour leur humanité que pour les questions d’école et les plans sur l’évolution. Il ne saurait sérieusement exister d’ouverture, en effet, dans une entreprise de diffusion du progrès et, de fait, le souffle de l’esprit positif n’inspire guère de ces monographies dévouées à l’émotion de la différence. Il existe aussi une génération d’ethnologues que leurs aînés, commensaux d’officiels, considèrent avec une curiosité mêlée de réprobation : ces jeunes entreprennent, souvent à leurs frais et sans dissimuler leur enthousiasme, des voyages où la passion tient lieu de sauf-conduit et où l’“objet d’étude” nourrit de sens et de sensations une éducation sevrée d’irrationnel. On pourrait schématiser la communication ici recherchée par la formule suivante : “Les uns voudraient posséder la magie de la technique ; les autres voudraient connaître la technique de la magie - et y croire...” L’ingénieur des Ponts, captivé par la transe, dira par exemple son dam de n’être jamais lui-même entré en possession. L’ethnologue qui fait un exposé devant des étudiants des anciennes colonies sur le rite ou la religion traditionnelle se voit souvent, lui, pressé de répondre à la question : “ Et la magie, vous, est-ce que vous y croyez ?”

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