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III - 8.5 Malaise civilisateur, aise de lhomme sauvage :
la subjectivité de lhomme objectif
Le moderne peut être représenté dans sa forteresse (tout idéale), son identité circonscrite dans sa volonté, alors que lhomme traditionnel est physiquement et psychiquement dépendant dénergies sises hors de lui et auxquelles il ne peut se soustraire sans perdre son intimité. Chaque arbre est un temple ; chaque souffle est une âme. Lintention dautrui, la réalité desprits, le sens des formes constituent en même temps le for intérieur et le for extérieur de ses délibérations. Il est dautant plus puissant et dautant plus vulnérable que, tirant sa cohérence de la mise en communication de ces forces et de ces signes, il ne sappartient pas. La constitution du moderne, à lopposé, enfermé dans une subjectivité définie par son pouvoir dobjectivité, cest la constitution de la matière. Laction magique est ressemblance, participation. Elle est sans objet et sans effet dans le désenchantement du monde et de la société. Linsécurité du monde magique a pour contrepartie la sécurité dun monde en relation. Où lhomme se repose dangereusement de sa forme dans la forme des choses. Les adeptes des messes noires assurent trouver dans le frisson de la profanation une certitude existentielle quune religion convertie à la raison ne délivre plus. Le mal moderne de la solitude - mal honteux puisquil dénonce un échec adaptatif - les maladies de la liberté, la mode des thérapies corporelles et des thérapies de groupe dénoncent le retrait des formations collectives, où sélabore la fermeture individuelle, comme la cause du malaise civilisateur. Cest dans cette déshérence répondant à lidéal qui récuse la vérité spécifique (linflexion du corps, de la subjectivité, du temps, de la différence des sexes, de la métaphore) que sinstalle le malaise juvénile. La jeunesse, main invisible de léchange des valeurs adopte, ou croit adopter, révélés par les traditions exotiques accommodées dans les faubourgs des métropoles coloniales ou esclavagistes, les secrets perdus par la civilisation. Alors que le polytechnicien doit aller prendre des cours de danse chez Georges et Rosy (quand Polytechnique était au Quartier Latin) pour être en mesure de tenir sa partie au bal de fin dannée, le primitif aurait dans le sang ou dans la peau un savoir de la nature dont le défaut, la récusation ou la réfutation caractérise léducation moderne. Il est significatif que le stigmate danimalité, qui constituait hier largument majeur du racisme, puisse être aujourdhui un signe délection : [Il] donne en plus une leçon, et cest quun noir peut imiter un blanc et non linverse. Car la culture occidentale sapprend alors que lanimalité africaine est innée. Cette supériorité est spécialement manifeste dans Say, say, say, la chanson quil interprète aux côtés de Paul McCartney. Non seulement il chante aussi bien que son partenaire, mais il possède en plus une certaine sauvagerie dont Paul McCartney, lui, est démuni (France-Soir Magazine du 21 avril 1984). On mesure lévolution par rapport à la génération précédente où ladoration de Sa majesté le Jazz était tempérée par la critique de jazz, cette spécialité blanche qui légitime et convertit linterprète en mettant du sens dans son naturel : et si les Blancs finalement, interroge une signature autorisée épinglant les effarantes faiblesses de Mo Better Blues, film du réalisateur noir Spike Lee (Il y a autant de Blancs dans mes films quil y a de Noirs dans les films de Woody Allen) ayant le génie du jazz et son exploitation commerciale pour sujet, avaient le talent de parler du jazz ? (Le Monde du 22 novembre 1992).
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