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I - 3.2 Léquilibre des pouvoirs
Sous le paradoxe dun chef sacré démocratiquement élu, P. C. Lloyd a décrit la constitution yoruba comme définissant une balance de pouvoir entre un roi sacré issu dun lignage royal et un conseil formé des chefs de lignages non-royaux (Lloyd, 1960). Seuls les membres du lignage royal descendant du fondateur de la ville ou de lhomme accepté comme chef par les indigènes en raison de son ascendance royale (Ibid. : 237) peuvent prétendre au trône. Mais le chef (Oba) est choisi par les hommes qui représentent les lignages non-royaux. Les Yoruba commentent ce fait en disant que leurs chefs appartiennent au peuple et quils peuvent être déposés (229). Loin que lélu, en effet, une fois installé, puisse disposer de sa charge selon son bon plaisir, un ensemble de dispositions constitutionnelles vise à contenir son action dans les limites définies par la loi selon le principe suivant : le conseil (des non-royaux) arrête les décisions, lOba les édicte et leur confère une autorité sacrée. (On trouve une phrase presque identique sous la plume dIvan Morris à propos de la structure politico-religieuse du Japon à lépoque de Hikaru Genji : Le rôle du souverain consistait à donner une sanction formelle et religieuse aux décisions prises en son nom - La vie de cour dans lAncien Japon au temps du Prince Genji, 1964 : 50). En cas de désaccord, lOba a peu de chances de faire prévaloir ses vues ; en revanche, les chefs peuvent lui demander de mourir, injonction qui lui est signifiée symboliquement par lenvoi dufs de perroquet. Cette disposition est constitutionnelle et ne met pas en cause les droits du lignage royal (233). De surcroît, la dimension et le pouvoir du lignage dynastique sont limités par les deux mécanismes complémentaires suivants : les princes sont élevés avec les enfants de leur oncle maternel (une épouse royale ne peut enfanter au palais). LOba ne disposant daucune terre pour les établir (tous ses revenus doivent être consacrés à la ville) et ne leur laissant aucun bien en héritage, cest du lignage de leur mère, en perdant leur qualification dynastique, quils peuvent obtenir de la terre. Par ailleurs, un prince puissant se verra confier la charge administrative dune marche du royaume. Ainsi, le pouvoir du lignage royal est-il limité par la lente absorption de ses membres les plus faibles dans les lignages non-royaux et par lexpulsion de ses membres les plus puissants (234). En fin de compte, il est moins prestigieux dappartenir au lignage royal que dappartenir aux lignages non-royaux (236).
Cas limite de cette évaluation de la souveraineté, lexemple des Diola de Basse Casamance chez qui, dans la religion traditionnelle, une situation misérable était faite au roi (Girard, 1969 : 35-36 et 38). Chassées par la guerre de leur village, deux [...] familles se présentèrent un jour aux abords dOussouye et demandèrent asile [...]. Les lignages locaux leur accordèrent lautorisation de sinstaller à condition quelles acceptassent dorénavant de gérer la royauté dOussouye [...]. Un jour cependant, les hommes dOussouye, à la recherche dun nouveau roi, capturèrent un berger qui gardait ses troupeaux en brousse. Ce pâtre, du nom de Diankabeth fut entraîné dans le bois sacré de Kéhi, initié et intronisé roi. Sa descendance, fixée dans le quartier de Djiwant, forme la troisième dynastie royale actuelle. Chassé de son territoire ancestral, cest (donc) un lignage sans terre qui avait demandé asile à la communauté interlignagère dOussouye qui constitue le lignage royal. Dans le même sens, il est dit de la charge du roi de Kétu quelle impliquait une quantité considérable dobligations et de lourds interdits. Il arrivait parfois quun homme pressenti se récusât comme le prouve le nom du nom du 30ème Alakétu, Agodogbo ; lélu naccepta sa nomination que devant linsistance de sa famille et de ses amis ; son nom de roi veut dire : lexcuse devient inutile (Palau-Marti, 1964 : 55). Chez les Pende, encore (et les exemples pourraient être multipliés), la position de chef nétait généralement pas enviée. À la mort de lun deux, ceux qui pourraient être successeurs possibles senfuient souvent, pour ne revenir que lorsquils apprennent quun autre a été nommé. Le successeur doit généralement être saisi et investi de force (De Sousberghe, 1963 : 65).
La vertu de létranger
Mais cest la valeur socio-symbolique de linstitution que les faits rapportés invitent ici à considérer. Et le système se donne dabord comme une pacification, une mise en ordre de la terre, garantie de prospérité, résultant du mariage dun étranger (ou donné pour tel) avec une fille autochtone.
Sur la terre qui devait devenir le royaume du Bénin, le règne dun chef fut si troublé que les notables décidèrent de demander au roi dIfé de leur envoyer un chef capable de bien gouverner. Odudwa, qui régnait alors à Ifé, leur envoya son fils Oriniyan. Celui-ci dut soutenir une lutte contre lancien chef, lutte commémorée à chaque intronisation par une bataille simulée entre le chef du clan des anciens seigneurs et le futur roi. Oriniyan épousa une fille du pays èdo et en eut un enfant. Mais il ne se plaisait pas au Bénin ; aussi décida-t-il de repartir à Ifé, laissant son fils tout petit à sa mère et au clan de celle-ci. Peu après, lenfant fut intronisé sous le nom dEwèka. Dans des circonstances dont le mythe donne une présentation symbolique, le jeune roi provoqua le suicide de son oncle maternel (Palau-Marti, 1964 : 71-73).
A Sado, on raconte ainsi lorigine de la dynastie dAholuhon (Ibid. : 99-100 ; version plus détaillée dans Akindele et Aguessy, 1953 : 20 et s.) : Aholuhon vivait seul avec sa fille, Dako-Hwin, la cadette de ses enfants tous garçons par ailleurs et qui avaient fondé leur propre famille. Un jour, un prince yoruba nommé Adimola arriva à Sado. Bel homme et excellent chasseur, il conquit bientôt les sympathies du vieux roi et le cur de sa fille. Cétait aussi un vaillant guerrier et un magicien habile. En récompense de ses services, Adimola reçut le titre de Oba ajo (roi étranger)... Sentant sa fin proche, le vieil Aholuhon demanda à sa fille de se choisir un mari. Le choix de celle-ci se porta naturellement sur Adimola, ce qui mécontenta les sujets du roi qui prétendaient à sa main. Aholuhon remit à sa fille sa couronne et ses sandalettes, insignes du pouvoir, puis se fit enfermer dans une case obscure, sans ouvertures, construite spécialement pour lui. Au neuvième jour, Dako-Hwin ouvrit la porte de la case et constata que son père avait disparu, laissant à sa place un monticule de terre. Les fils dAholuhon montèrent successivement sur le trône, mais tous moururent au bout dun temps très bref. Seule Dako-Hwin pouvait régner car cest elle qui détenait les insignes du pouvoir. Comme ses frères survivants refusaient dadmettre quune femme règne sur le trône de Sado, on décida de couronner un fils de Dako-Hwin, Dasu. À Porto-Novo, le futur roi se rend au temple de Dako-Hwin. Une prêtresse assise à la porte du sanctuaire se plaint comme une femme en travail et enfin triomphante sécrie : Ah ! cest un garçon ! tandis que le nouveau-né - le futur roi - se tient à genoux à côté delle et écoute ses prières. Lenfant est conduit au temple dAvajo (= Oba ajo, le roi étranger) où le prêtre remet un bâton de commandement à son fils (Palau-Marti, Ibid. : 111). Lun des ministres tuteurs du roi, de lignage non-royal, considéré comme la mère du roi, porte celui-ci sur son dos le jour de lintronisation (Ibid. : 216).
Chez les Anuak, la vertu de létranger est exposée dans le mythe dorigine suivant. Cuai, fondateur dun des deux clans originels de la tribu, était le chef dun village, mais personne ne prêtait attention à ses avis. Un jour, deux enfants qui pêchaient à la main dans la rivière se disputent la propriété dun poisson que lun a attrapé par la tête et lautre par la queue. Un esprit de la rivière, nommé Ukiro, intervient alors et explique quon ne peut tenir un poisson par la queue et que son légitime possesseur est celui qui la attrapé par la tête. Informé de ce jugement, Cuai commande quon attrape Ukiro - qui change alors plusieurs fois de forme et semble aussi difficilement saisissable quun poisson - afin de disposer de quelquun dont les avis seraient pris en considération par ses sujets. Ukiro refuse dabord de boire et de manger (marquant par là son caractère détranger à la communauté. Cuai lui envoie sa fille Koori. Celle-ci met au monde un fils, Gilo, qui sera le fondateur du clan royal. Avant de sen retourner à la rivière (on emploie cette expression quand meurt un Anuak de lignage aristocratique), Ukiro fait don à Koori dun collier quelle devra placer au cou de Gilo, lemblème de la royauté. Ce collier est appelé dun nom qui signifie que Koori recevra moins que ce quelle mérite. Gilo, élevé dans le village de sa mère est en butte à lhostilité des agnats de sa mère et particulièrement de son demi-frère qui chante que Gilo a un long cou et (quil va) lui couper. Il lattire dans la forêt et, dissimulé dans les branches dun arbre, le tue dun coup de javelot. Le fils de Gilo, caché dans un pot par sa grand-mère maternelle, perpétuera la lignée.
Les Anuak disent que sans une mère intelligente et des oncles maternels puissants le fils dun noble ne peut devenir important. Linvestiture du chef requiert la participation des oncles maternels qui tiennent les pieds du trône. Mais on croit aussi quun candidat qui ne serait pas de sang royal chuterait automatiquement du trône (Lienhardt, 1955 : 38). Le pouvoir est ici la synthèse, dans le mariage, dune terre, représentée par la fille dun chef local et ses frères, et dun principe spirituel, un esprit de la rivière étranger. Avec le concours de cet esprit, Cuai, chef Soliveau, représentant des clans de la terre, établit un pouvoir supérieur incarné dans le lignage dynastique dont le fils de Gilo, autre Cypsélos, sera le premier membre régnant. La querelle des deux enfants au sujet de la légitime propriété du poisson peut être interprétée comme lexpression dune question que Cuai ne savait trancher ou navait pas le pouvoir de trancher (ses avis nétaient pas écoutés). Larrêt de lesprit de la rivière, qui ne se borne à énoncer cette évidence quon ne peut attraper un poisson par la queue, peut être compris comme une conceptualisation de la filiation : une génération qui doit tout à la terre mais (Koori, la mère, reçoit moins quelle ne mérite) qui nest pensable que référée à un principe spirituel étranger à la terre. Qui est le légitime possesseur du poisson ? le légitime possesseur de lenfant ? le légitime détenteur de lautorité ? Celui qui tient la tête : qui pense la production naturelle dans léloignement de son origine.
En raison de leur rôle de médiateurs dans les antagonismes interlignagers, un aphorisme dinka énonce que les prêtres sont les frères de la mère de la communauté. Le frère de la mère, explique Lienhardt (1981 : 164-167), est pour lenfant, élevé dans la case de sa mère - celle-ci est séparée de son mari jusquau sevrage - le principal chaînon mâle adulte entre (lui-même) et les groupes structurellement opposés du père et de la mère. Les clans sacerdotaux chez les Dinka, les clans nobles chez les Anuak et le clan royal chez les Shilluk ont pour commun caractère une qualification spirituelle qui leur permet de sélever au-dessus des oppositions claniques. Cette capacité à résoudre les conflits et à apporter les dons du ciel procède dune indépendance et dune participation. Comme la rivière qui coule de part en part dun territoire politiquement divisé, les nobles (anuak) qui en proviennent spirituellement peuvent paraître, du fait de leur progéniture, comme appartenant au pays tout entier, cependant que leur mère donne à chacun une localisation sociale dans leurs villages respectifs. Dans le mythe - lhistoire mythique semble sépuiser dans le dessein de définir charte et fonctions - le fondateur du clan médiateur entre en conflit avec ses maternels et cest son origine et son indépendance qui font la différence : un chef est détaché de ses maternels et cest ce qui lui permet de jouer le rôle de frère de mère. Une veuve vieillissante et qui na pas eu denfant, ce qui met fin au lignage de son mari, se lamente près du fleuve. Fécondée par leau, elle met au monde lenfant qui est à lorigine des clans sacerdotaux (Dinka). Cet enfant du miracle, sans maternels et sans agnats, est promis à la médiation. En réalité, le médiateur est nécessairement lié à des maternels et cest son agnation qui le distingue. Le trait, souvent rapporté, que le roi ne peut avoir de neveu peut sinterpréter par le fait que le neveu est dans la position du fondateur de dynastie. La fin du règne est annoncée par la confusion ou les conflits (antagonismes de clans, confusion des principes) auxquels lintronisation avait mis fin, par le désastre ou le désordre renaissant. Le roi est détrôné par un cadet en position de neveu. Non par un neveu, comme le roi Soliveau ou le roi ivre (infra), mais, puisquil détenait lagnation médiatrice, par un fils ou par un frère.
Des différentes versions réunies et analysées par Luc de Heusch du mythe dorigine de la royauté luba (de Heusch, 1979) on retiendra les données suivantes : le roi Nkongolo, descendant dune série de générations incestueuses vivait incestueusement avec ses deux surs Bulanda (pauvreté) et Keta (un peu de viande) - la famille comptait aussi une petite nièce appelée Buleba (mensonge). Nkongolo était ivrogne et cruel. En ce temps-là, la terre était molle, le pied de lhomme et le sabot de lantilope laissaient leur empreinte sur les rochers aujourdhui les plus durs.
Alors quelle se rendait au lac pour puiser de leau, Bulanda rencontra un chasseur qui se désaltérait. Sa surprise fut grande de constater que linconnu ne répondait pas à son salut et ne lui prêtait aucune attention. Bulanda courut avertir son frère qui consulta loracle. Loracle répondit que le pouvoir arrivait. Nkongolo apprit que létranger était Mbidi, le chasseur du pays de lEst, fils dun roi qui voulait faire de sa fille son héritière, chassé à cause de celle-ci de son pays et parti à la conquête de nouvelles terres. Nkongolo accueillit létranger. Au cours des festivités qui marquèrent cette rencontre, Mbidi Kiluwe fut choqué de voir que Nkongolo mangeait et buvait en compagnie de ses gens. Celui-ci, de son côté, sétonna que son hôte se dissimulât derrière un écran pendant les repas. Il fut aussi frappé de constater que son hôte ne riait jamais. Il lui en fit la remarque et Mbidi Kiluwe éclata de rire. Nkongolo découvrit alors que létranger avait les deux incisives supérieures taillées en biseau. Et il riait à gorge déployée chaque fois quil observait les dents de Mbidi Kiluwe. Un jour comme il lui faisait part à nouveau de son étonnement, celui-ci se crut insulté et rétorqua : Vous avez établi votre domination sur la région, mais vous nobservez pas linterdit élémentaire qui astreint les rois à se dérober à tout regard lorsquils mangent ou boivent ; vous mangez en public assis à même le sol. Mbidi Kiluwe épousa Bulanda. Quand elle fut enceinte, le chasseur rentra dans son pays, non sans lui avoir remis un flèche curieusement façonnée afin que sa progéniture puisse se faire reconnaître de lui. Bulanda mit au monde un fils quelle appela Ilunga. Nkongolo, pour sa part, avait fait un jour lexpérience suivante : il eut lidée de séparer tous les enfants de leur mère. Puis il les relâcha pour voir ce qui allait se passer. Il eut alors la satisfaction de constater quils se précipitaient tous, sans se tromper, dans les bras de leurs mères respectives.
Le fils de Mbidi Kiluwe montrait une vigueur extraordinaire et ses exploits lui valurent dêtre surnommé Kilala, le conquérant. Nkongolo en éprouvait du ressentiment et sa mère lui fit remarquer en ricanant que Kilala semparerait bientôt du pouvoir. Nkongolo se fâcha et sa mère se mit de nouveau à rire. Au comble de la fureur, il creusa alors une fosse dans laquelle il enterra sa mère vivante, afin de faire cesser ses rires ; (un proverbe utilisé pour avertir un interlocuteur davoir à prendre au sérieux une affaire quil prend à la rigolade énonce : Tu ris dun rire malheureux, - qui te sera fatal - comme riait la mère de Nkongolo). Nkongolo décida de supprimer son neveu. Il fit creuser une fosse au fond hérissé de pointes de fer et en dissimula louverture au moyen dun tapis. Il invita Kilala à danser en son honneur. Prévenu par un esprit, celui-ci dansa dabord à bonne distance du tapis, puis bondit et, dun geste puissant, jeta sa lance au milieu du tapis ; la natte transpercée découvrit le piège. Kilala senfuit chez son père et réunit une armée pour se venger de son oncle. Celui-ci décida de se réfugier dans les gorges dune rivière, errant dune grotte à lautre. Trahi par ses surs, il fut découvert et capturé par Kilala qui lui trancha la tête de son couteau. Il enveloppa ce trophée dans un tissu de raphia et le déposa dans une hutte rituelle ; (dans plusieurs versions, la tête est engloutie par une termitière). Le corps de Nkongolo fut enterré sous le lit dune rivière. Depuis ce jour, lautorité séjourne dans la maison des ancêtres. Kilala Ilunga succéda à son oncle, réunissant en sa personne lautorité (bufumu) et le sang sacré (bulopwe). Il engendra plusieurs fils qui se partagèrent le pays situé entre la Lomani et le Lualuba.
Dans le règne de lindifférenciation (frère-sur : inceste ; mère-enfant : le test de filiation pratiqué par Nkongolo), de labsence de formes (en ce temps-là, la terre était molle), du dérèglement (ivrognerie et cruauté du chef), et de la pénurie (les deux surs de Nkongolo sappellent Pauvreté et Un peu de viande), létranger Mbidi, souverain sans terre introduit les usages de la royauté sacrée et substitue le pouvoir de lordre (le pouvoir arrive) à une souveraineté de hasard. Ce pouvoir sexerce par le contrôle des ouvertures et des flux : le roi sacré ne parle pas, il ne rit jamais, il sisole pour manger, ses incisives supérieures sont affectées dune marque culturelle (les Luba de Katanga arrachent les quatre incisives inférieures et liment à moitié deux incisives supérieures (Ibid. : 32)). Par opposition, goinfrerie, rire incontrôlé et à gorge déployée caractérisent Nkongolo et sa mère. Cette ouverture fatale qui voue la mère à la mort définit la stérilité : lexpression le trou de Nkongolo sapplique à une femme bréhaigne ou peu féconde (Ibid. : 34, citant Studstill, 1969). Quand son oncle veut lentraîner dans cette fosse mortelle, le renvoyer à lindistinction mère-fils, Kilala Ilunga, lhéritier de la royauté sacrée, distingué par la flèche curieusement façonnée léguée par son père, plante sa lance au milieu du piège et fonde le pouvoir en opposant acuité pénétrante de lacte à la fatalité de lengloutissement naturel ; la souveraineté de la filiation et du concept à lindétermination de la nature. Dans la personne du roi, dans la stricte réglementation de ses manières de table, la société dispose dun moyen de coercition sur la nature. Ce nest pas seulement dire que le roi ne mange pas et que sa condition nest pas celle dun mortel, cest poser que réglementer la bouche, cest également contrôler la profusion aléatoire de la fécondité naturelle. Les manières de table induisent des manières de lit et des moyens de vie. Le terme Ki-na (trou, excavation) désigne le sexe de la jeune fille dont les petites lèvres nont pas été étirées comme le veut lesthétique luba. Naturel, lorifice vaginal connote la mort (les femmes enceintes ne peuvent manger la chair de lanimal qui a culbuté dans une fosse piégée, de crainte que lenfant ne soit entraîné à son tour dans la tombe (Ibid. : 35). Le roi luba, héritier de Kilala Ilunga (fils de Mbidi et neveu de Nkongolo) est la synthèse de lautorité et du sang. Héritier de Mbidi en tant que détenteur des formes (bufumu, autorité), héritier du sang sacré (bulopwe, de par ses relations incestueuses avec sa mère et ses surs au cours de linvestiture), il impose une forme à Nkongolo en le divisant tête et corps. Quand souvre la succession, un tournoi rituel oppose le frère cadet du roi aux autres prétendants, le vaincu est décapité et sa tête est traitée comme le fut celle de Nkongolo (Ibid. : 44-45). Nkongolo dont le nom signifie arc-en-ciel est parfois représenté comme un être androgyne et un couple stérile (197). Cette division sépare le masculin et le féminin, ouvre lespace cosmique et instaure une communication réglée entre les deux principes : exogamie, conceptualisation de la filiation, assurance des flux (naissances et pluies). Loin que linceste du souverain contredise le vu de cette communication, cest au contraire cet acte qui permet à lindividu investi du pouvoir rituel de devenir, en tant que synthèse orientée de la dualité, forme de la médiation et médiateur par excellence.
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