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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures



présentation

I - 2.03 La paille et le grain

Les monographies sur les royautés africaines font apparaître l’implication constitutionnelle du souverain dans le cycle végétatif. Une fonction du roi du grain qu’est le roi archaïque est de survivre a l’année au détriment de sa doublure annuelle qu’est le roi de paille. Il est dit à Porto-Novo, par exemple, au terme d’un rituel de prémices, que le roi a “échangé la mort”. On pourrait poser, en une première approche, que le roi est investi dans le cycle annuel de telle sorte que, au terme échu, sa vertu végétative ou sa capacité à induire la production naturelle épuisée, il doit céder la place. Il existe, en effet, une corrélation, implicite ou explicite, entre la liturgie qui rythme le calendrier agricole et la liturgie proprement royale. (La corrélation des rites de régénération du roi et des rites régénération de l’année a été souvent décrite. Les données les plus riches sous ce titre concernent le rite swazi de l’Incwala présenté par Hilda Kuper (1944, 1947, 1952, 1963), où les personnages royaux assument explicitement des fonctions astrales et où le drame rituel formalise le passage de l’année au moment du solstice de l’été austral). Chaque année donne à entendre le retentissement du régicide ; chaque moisson est, en un sens, la répétition du drame final. Adler (1982 : 334) a pu ainsi caractériser cette relation de l’année et du règne par l’expression de “mise en abîme”. C’est la même chose qui se joue l’an I et l’an VII (ou VIII). Et pourtant, ça n’est pas la même chose. Et pas seulement, contrairement à ce qui vient d’être dit, parce que le roi serait usé par le pouvoir et réputé désormais incapable d’incarner le renouveau de la nature (explication de type frazérien). La différence entre l’an I et l’an VII ne procèderait pas seulement de la différence entre l’état de grâce et l’état de disgrâce. L’an VII ne serait pas une “fin de règne”, quand on décrit par cette expression l’usure des mandats électoraux, rituels ou politiques. Qu’y a-t-il donc dans le chiffre 7 qui tranche le fil de la vie des rois ?

Cette interdépendance de la périodicité annuelle et de la périodicité de la souveraineté, cette prémonition de la mort du roi dans sa victoire sur l’année, nous croyons, suivant en cela Jeanmaire et un certain nombre de spécialistes, qu’une telle et même connexion peut être décelée, mutatis mutandis, en Grèce archaïque et principalement dans les rituels qui rythment la geste de Thésée et ceux qui règlent sa commémoration.

La liturgie agraire comporte deux temps forts touchant la récolte : la fête de prémices et la fête des moissons. Il s’agit, dans la fête des prémices, d’assurer la récolte en se prémunissant contre le risque que les produits de la terre n’arrivent pas à maturité. On consacre les premiers fruits et on propitie les puissances. Il s’agit, dans le rituel des moissons, de conférer à la graine la nature de semence - de bonne semence, nous y avons fait allusion. Le temps des prémices est un temps particulièrement critique dans la mesure où c’est une période de soudure alimentaire. Un poète grec du VIIe siècle, Alcman de Sardes (Alcméon), caractérise cette conjoncture en disant : “Tout pousse, mais il n'y a pas grand-chose à manger”. Précisément, un proverbe swazi (une population d’Afrique du Sud dont les rituels royaux ont été particulièrement étudiés) énonce à propos de la période correspondante dans l’hémisphère austral : “On mange les déchets qui restent entre les dents”. À moins de “manger son blé en herbe”, autrement dit, il n’y a donc pas grand-chose à se mettre sous la dent.

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