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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures



présentation

I - 2.13 Quand régicide et initiation sont un

Adler (1982 : 376) écrit de la royauté moundang que “le véritable avènement d’un règne [...] c’est précisément l’ouverture d’un camp d’initiation [...]. Quand cette inauguration initiatique prend fin, on peut dire que c’est déjà pour le roi le commencement de la fin. Il y a et il ne peut y avoir qu’une seule initiation par règne et il fallait jadis qu’au moins tous les dix ans un nouveau jõ-ré fût proclamé, faute de quoi le pays aurait été menacé des plus graves calamités : épidémies, sécheresse, très forte mortalité infantile ou stérilité des femmes comme de la terre”. C’est le retour de la règle, la pérennité sociale qu’assure le travail du roi dans son vis-à-vis institutionnel avec la féminité du royaume (dans un mariage rituel incestueux et stérile), réalisant une dualité contre-nature religieusement entretenue au cœur de la société. Si la dissolution de cette dualité donne le signal de l’initiation, c’est manifestement que l’initiation a partie liée avec cette dualité et que le rôle spécifique du roi est d’induire l’avènement d’une nouvelle classe d’âge. Chez les Daka, le roi ne survit pas à la circoncision ; chez les Moundang, le roi est véritablement intronisé quand il proclame l’initiation : c’est pour lui le “commencement de la fin”. Le roi africain (à la différence de Thésée) commande un rite auquel il ne survit pas. Doté d’un caractère féminin inhérent à sa personne, il ne peut être initié sans être mis à mort, divisé tête et corps, masculin et féminin. Le régicide, division du roi qui donne homothétiquement le signal de l’initiation, se comprendrait alors comme l’initiation même du roi et la perpétuation de la distinction sexuelle comme un objet de la souveraineté royale. Faut-il suivre Adler à la lettre quand il énonce que l’initiation est celle du roi - “on désigne normalement les initiés d’une même promotion par le nom du souverain sous le règne duquel ils ont été circoncis” - “mais [que] lui-même n’en est pas, si l’on peut dire” (Ibid. : 375) ? Ce ne serait pas seulement son nom, mais aussi sa vie que le roi donnerait à l’initiation. Il ne participerait pas directement à l’initiation qu’il proclame mais, bien que structurellement exclu du rite, il en serait le modèle. Tellement pris dans le rite qu’il n’y survivrait pas. Opérateur et instrument du rite grâce à cette extériorité qui lui permet d’incarner une dualité sexuelle interdite à tout autre et qui épuise son sacerdoce et sa personne. Modèle passif de l’initiation.


La valeur positive conférée à ce qui est sauvegardé et consacré par la division initiatique (- le crâne-relique, témoin de la continuité agnatique ; - le corps de la verge, modèle d’une identité sans indécision) par opposition à ce qui est retranché et/ou expulsé (- le cadavre du roi, amputé de sa tête et jeté à la rivière ; - les prépuces, enterrés au bord de la rivière où la circoncision a lieu) permettrait d’écrire l’“homologie” suivante :


corps du roi (féminin)

(masculin) crâne du roi

corps de la verge (masculin)


(féminin) prépuce

Cette signification dissipe l’objection de la non équivalence quant au genre des objets séparés par la césure en cause: c’est le prépuce (féminin) qui est retranché, c’est le crâne (masculin) qui est décollé... C’est au contraire cette dissymétrie dans l’homologie - ce chiasme exprimant l’identité de nature et l’opposition de destin des candidats à l’initiation et du roi -, qui supporte l’action rituelle et qui permet de comprendre comment la révolution des générations peut procéder de la révolution des règnes. Cette césure qui met fin à la vie du roi est une pédagogie de la naissance initiatique. Le régicide a la distinction sexuelle et l’existence sociale pour conséquence.

Mais c’est évidemment leur position contextuelle qui donne sens aux termes : après avoir été desséché (comme chez les Chamba, voir infra), quand il cesse de signifier l’humidité (et la féminité), le prépuce peut prendre une valeur masculine en vertu de l’équivalence, signalée plus haut, entre le grain, la verge et le crâne, la dessiccation étant opératrice de masculinité. Le corps étique, le dessèchement d’une vieille femme est ainsi vu comme une masculinisation et la féminité un état transitoire auquel le tarissement des flux met fin (Fardon, 1990 : 183). - Surdétermination d’une coutume de l’âge de la pierre (la Bible fait mention de “couteaux de silex” dans Jos., V, 2 sq. ; Ex., IV, 24-26) : le tégument prépucial pouvant servir aussi aujourd’hui, en Israël, à produire de l’interféron.



*

Pour caractériser les “origines rituelles” de la geste de Thésée, Jeanmaire s’appuie notamment sur les informations recueillies par Frobenius à propos des Moundang et des Daka (Ibid. et 1913 : 255-260 pour les Daka). Il observe une identique corrélation entre le cycle de la souveraineté et l’organisation des classes d’âge. Cette identité formelle conforte l’interprétation initiatique des festivités décrites par Plutarque et permet d’en préciser les enjeux. L’abondante documentation sur le calendrier agricole et sur le calendrier rituel des sociétés africaines - quand les faits grecs sont forclos - autoriserait aujourd’hui une lecture d’autant plus assurée de la relation que Frobenius consacre aux Daka, par exemple, la plus circonstanciée sous ce titre, qui met en évidence, en effet, la dépendance explicite du cycle agraire et du cycle de la souveraineté et dont nous résumerons les principaux traits pour faire écho à la première partie de ce commentaire.


Dakka, Masque buffle (dit : nangbiningi, Frobenius, 1925, V : 59).
(Museum für Volkerkunde und Vorgeschichte, Hambourg).

Les activités rituelles sont sous le contrôle du Kameni, “prêtre” qui a la responsabilité de “toutes les choses sacrées”, dont la fonction la plus importante a trait aux rituels des récoltes et qui a aussi pour office la mort du roi et la désignation du successeur. La fête des prémices (septembre) engage le Kameni, enveloppé d’un vêtement de feuilles qui le recouvre entièrement, quatre vieillards et un grand nombre de garçons qui suivent le groupe en criant d’une voix perçante. Dans chaque champ, le Kameni déterre un morceau d’igname, le place dans une feuille et enfouit le tout dans le sol en une offrande à la terre et aux ancêtres. Nul autre n’est autorisé à consommer les prémices et les relations sexuelles sont désormais interdites jusqu’à ce que les grains arrivent à maturité : “car si une femme concevait pendant cette période, la croissance du mil s’arrêterait”. En décembre, le temps de la moisson venu, le même cortège se forme et le Kameni prélève un épi dans chaque champ. La procession rentre au village avec une botte imposante. Le rituel achevé, il est possible de consommer les nouveaux épis et les relations sexuelles sont à nouveau autorisées. Un mois plus tard - ce temps est aussi, le cas échéant, le temps de la circoncision - l’enclos royal est le théâtre d’un rituel au cours duquel le roi, en présence du Kameni et du forgeron, interroge un couple de statuettes divinatoires (vraisemblablement représentées en hors-texte du volume III d'Und Afrika Sprach : “Dakkaheiligtum”). C’est là une ordalie qui a pour objet la “compétence” du roi. La corrélation de la circoncision et de la mort du roi, plusieurs fois formulée, est dite notamment dans l’“explication” suivante, destinée à compléter l’information selon laquelle la circoncision n’a lieu que tous les sept ans, après la célébration de l’ordalie dont il vient d’être question. “Aux temps anciens, la circoncision avait lieu tous les trois ans. La durée du règne était abrégée d’autant car le sang de la circoncision emportait la vie des rois”. Les Daka expliquent encore que le sang de la circoncision va retrouver le roi défunt. Le successeur ne peut être consacré avant cette célébration : si le nouveau roi était intronisé nonobstant, il mourrait à coup sûr pendant l’opération de la circoncision.

Le rapprochement du domaine grec et du domaine africain permettrait de mettre en évidence les données anthropologiques suivantes :
- Le rituel annuel a pour objet de conjurer la mort de l’année et d’assurer la pérennité des germinations par l’expulsion des flétrissures de l’année.
- Le rituel initiatique a pour objet et pour périodicité la génération humaine. Cette dramatisation de la différenciation sexuelle est supposée conjurer l’exténuation de toutes les différences et assurer la remise à neuf des classifications. À l’inverse, l’absence ou le défaut de ce protocole éducatif annonce un dépérissement des reproductions et une subversion généralisée des ordres.
- Il arrive un moment - prévisible, et dont il peut être dit qu’il revient avec une régularité astronomique - où la repousse naturelle de la génération humaine doit être taillée, “circoncise”, où le sauvageon doit être domestiqué. La progression naturelle du temps accuse la dégénérescence des agencements sociaux. Un tribut doit être périodiquement payé à l’entropie ou souverain du temps, renaissance du chaos originel. Ce tribut se prélève sur la jeunesse. C’est dire que la communauté, frappée dans sa reproduction, est condamnée à l’extinction. Comment transformer cette malédiction en promesse de renouvellement ?
- Un personnage, généralement un fils de roi, prend la tête de la classe d’âge qui fait problème et va livrer combat au monstre qui fait problème (dont les exigences anéantissent les “germes fructifères”). Sa victoire libère la collectivité du tribut et transforme la stérilité en abondance. Elle l’habilite à la succession.
- Cette restauration des formes est elle-même soumise à l’usure du temps. La structure de gouvernement se défait quand, la dernière année du règne, il n’y a plus de différence entre le souverain et le pharmakós. Quand la vertu agnatique du roi est épuisée, quand il se révèle incapable de soutenir la distinction - étouffé par la matière de son travail, il devient lui-même “terre” - la révolution annuelle entraîne une révolution de palais en réalité rituellement programmée. En sorte que le but de l’expédition initiatique, ce peut être le souverain lui-même, modèle du rite : sa victime. L’impureté du roi, qui peut faire de lui l’objet de la division initiatique, ne procède pas seulement de la division de son prédécesseur en vertu de laquelle il règne ni de son usure propre. Elle est constitutive de sa charge lorsque celle-ci requiert une androgynie de gouvernement. Dans les sociétés ou l’impureté royale est fortement marquée de ce fait, l’expédition initiatique n’a nul besoin de se développer aux marches du royaume, le roi est le monstre qu’il faut diviser. Dans la geste de Thésée, la précipitation est consécutive et non préalable à l’initiation : Égée meurt de la victoire d’un fils qui, ayant pris la tête de la nouvelle classe d’âge, règne à son tour. Ici, en revanche, le vieux roi meurt avant l’initiation et le jeune roi, intronisé quand est achevée l’initiation qui a mis fin au règne de son père, proclame une initiation à laquelle il ne survivra pas. Modèle du rite, exclu du rite, il lui donne et son nom et sa personne. Sa nature propre ne lui permet pas de souffrir cette division du masculin et du féminin en quoi consiste l’initiation et que sa décollation induit. La circoncision mettrait ainsi fin à un mandat plus “rituel” que “politique”. La fonction proprement pédagogique et cosmologique de ce souverain, s’il constitue l’unité de compte entre le temps de la végétation, le temps humain et le temps des astres se développerait dans l’isochronie du régicide et de l’initiation.

L’hypothèse selon laquelle le roi moundang est le modèle passif de l’initiation (qu’il y a une homothétie entre la circoncision et le régicide ; que circoncire le roi, c’est le mettre à mort ; qu’on ne peut circoncire les candidats à l’initiation sans mettre à mort le roi...) est fondée sur des équivalences symboliques et notamment sur la pétition que le traitement dont le cadavre du roi fait l’objet, savoir la séparation de la tête et du corps et le conditionnement différencié de ces deux éléments, équivaut à une circoncision. Une objection se présente immédiatement contre une telle hypothèse : le roi moundang, bien qu’incomplètement initié, est déjà circoncis. On ne voit pas a priori, d’une part ce que pourrait signifier une seconde circoncision et, d’autre part, comment, déjà circoncis, le roi ne pourrait supporter la circoncision à laquelle les jeunes gens sont soumis... Nous avons pourtant fait crédit aux analogies, principalement en raison de l’identité de nature des néophytes et du roi : sexuellement doubles, promis à la mort initiatique en raison de cette dualité et délivrés par la circoncision. Il se trouve, d’ailleurs, que des faits que nous ne connaissions pas alors, rapportés des Dowayo du Cameroun (Barley, 1983 ; Dumas-Champion, 1989) montrent que la décapitation du cadavre peut être explicitement conçue et théâtralisée comme une répétition de la circoncision.

Ces pratiques, qui peuvent prendre des formes apparemment contradictoires quant au rôle du roi, nous paraissent s’unifier sous le motif constitutionnel de la royauté sacrée : le face à face de clans autochtones et d’un clan dynastique (voir infra chapitre 3 : Dessin du dessein) qui fait du souverain médium, un moyen du pouvoir. Le rôle du roi dans cette ingénierie qui engage ici la capacité de la société à se reproduire dans ses ordres, dans cette distinction fondamentale qu’est la séparation des genres, est donc fonction du statut qui lui est assigné. Il est nécessaire de surcroît, nous l’avons rappelé en commençant, de prendre en compte les différentes valeurs diacritiques que les sociétés en cause peuvent utiliser pour signifier la différenciation sexuelle. Ce sont, d’évidence, les opérations dont les organes sexuels peuvent faire l’objet. Mais ce sont aussi des oppositions cosmologiques, naturelles, chromatiques ou thermodynamiques (le sec et l’humide ; l’os et la chair ; le chaud et le froid…). Le rituel Dowayo, qui expose comment ces oppositions peuvent se superposer, manifeste leur identité conceptuelle (Barley, 1994 : 106-211). La circoncision formalise et théâtralise ainsi l’opposition du sec et de l’humide, du masculin et du féminin, du cadavre et de l’ancêtre, du grain en formation (femelle) et du grain arrivé à maturité (mâle). Les garçons naissent donc avec des “têtes molles”. C’est la circoncision (“l’apogée de leur ‘humidité’ est atteint quand le garçon s’agenouille dans la rivière et saigne dans l’eau”), coïncidant avec la venue des premières pluies, toujours violentes, la retraite des jeunes circoncis s’achevant le premier jour de la moisson, qui les fait passer de l’humide au sec. “Les nouveaux circoncis, rapporte Leiris (1933-34 : 64), qui ne peuvent porter aucun vêtement jusqu’à complète cicatrisation, vivent hors des villages pendant plusieurs mois (quatre mois environ, des semailles à la récolte du mil rouge).” “On considère que leurs têtes ont été durcies au feu et que la tête (le gland) de leur verge est désormais sèche”. Leur sexe est maintenant véritablement masculin (Barley : Ibid.). Un tablier porté sur la tête (à rapprocher vraisemblablement du bonnet de circoncision) est mentionné par Leiris (Ibid. : 65). Au moment du prélèvement du crâne, quand on ouvre la tombe (“Quand un circoncis meurt durant son séjour en brousse […] il est enterré vêtu [de son] costume de feuillage [porté normalement par les femmes] et on ne prélèvera pas son crâne” (Leiris, Ibid. : 75), le mort est menacé avec un couteau de circoncision, la dessication de son crâne (et la circoncision de son arc) assurant sa réincarnation. On entonne, de même, des chants de circoncision quand on bat le nouveau mil…

Dans cette cosmologie où la maturation des récoltes, le croît des humains et la vie après la mort (la céréale, le sexe, le cadavre) sont pensés sous un même concept, le rôle du roi - quand royauté il y a : on se souvient de la corrélation notée par Frobenius : “Ce sont ces mêmes dignitaires qui, au cours de la terrible période mystique de la moisson, lorsqu’on coupe les épis et qu’on bénit les jeunes, pendant ce temps d’offrandes et de propitiations, mettent à mort le roi“ (vide supra) - est fonction de sa position par rapport à la césure de la différence des sexes. Cette position décide de sa place dans l’initiation et de son destin parmi les vivants et les morts. L’ethnographie des Daka, qui a récemment été enrichie des travaux de Richard Fardon sur les Chamba (1988, 1990) - auxquels les Daka sont apparentés - donne à voir un chef dont le rôle - à la différence du roi moundang dont l’ambiguïté sexuelle est constitutionnelle - est “féminin”. Il fait d’ailleurs “couple” avec les prêtres (masculins) de la terre. La cosmologie chamba associe, elle aussi, croissance du grain et croissance de l’homme (“Le chef et ses prêtres se comportent comme des géniteurs - comme s’ils étaient respectivement mère et père du grain. Comme un enfant, comme un garçon plus précisément, le grain passe d’une tutelle féminine à une tutelle masculine au cours du processus de maturation” - 1990 : 185), circoncision, cueillette des épis et prélèvement du crâne. Elle s’organise sur une dichotomie fonctionnelle entre matriclans et patriclans. Le matriclan, représenté par le chef (ou le roi), est substance, il est associé à la féminité et à la vie ; le patriclan, représenté par le prêtre, est identité, il est l’ordre où se réincarnent les ancêtres. Le patriclan commande l’initiation, les rituels funéraires et la garde des crânes. La circoncision est donc absolument contraire au chef (“circoncision et chefferie sont antithétiques dans la pensée [chamba]” - Ibid. : 123) et, à la différence du roi moundang qui est “divisé” en cette circonstance et qui en meurt - certes - mais dont le crâne, pierre de touche de la succession, sera conservé, c’est l’entièreté du cadavre du chef chamba - qui n’est pas décollé - qui représente la part féminine de la division en cause. Ses funérailles, quand il décède de mort naturelle, comme celles d’une femme, durent quatre jours. Sa mort est normalement tenue secrète jusqu’à l’intronisation de son successeur. Il est enterré dans une tombe qui est définitivement scellée, la moindre fissure annonçant un malheur qui doit être prévenu par le sacrifice d’un bélier noir (Ibid. : 81). À l’opposé, la succession d’un prêtre chamba - les prêtres sont les “maîtres de la coupe” (Ibid. : 128) des épis, des prépuces et des crânes (Ibid. : 129) - requiert le prélèvement du crâne de son prédécesseur, avant même que la décomposition du cadavre en autorise la décollation par exception à l’usage qui prévaut. Le chef chamba est comme les “habitants du monde souterrain” explique Fardon, il est associé à la fraîcheur et à l’obscurité. Le sang que les prêtres font couler est rouge et chaud et le sang des garçons qu’on vient de circoncire, en tombant sur le sol, menace la fraîcheur de cet être ténébreux (Ibid. : 185). Le chef serait donc mis à mort avant l’initiation, conformément aux informations recueillies par Frobenius, apparaissant ainsi comme un modèle négatif de la circoncision. Alors que le roi moundang, modèle passif, ferait, lui, fonction - si l’on peut dire - de “mannequin” : de son vivant et dans son exercice à la fois masculin et féminin, en même temps initié et mis à mort. À Poli, en revanche, selon Leiris (1933-34 : 70, note), “le fils du chef coucherait en brousse avec les circoncis jusqu’à réintégration de ceux-ci” - l’implication cheffale dans l’initiation pourrait avoir été celle d’un specimen, modèle positif : tout masculin quand le chef chamba est, lui, tout féminin… Un tel cas de figure (où le “chef” serait un “prêtre”, pour parler chamba), qui demanderait à être précisément instruit, tend naturellement à mettre en cause l’équilibre constitutionnel évoqué plus haut [dont l’approche fera l’objet du prochain chapitre]. La question étant de savoir - si l’hypothèse constitutionnelle d’un face à face et d’une complémentarité entre clans territoriaux et clan dynastique (entre “prêtres” et “roi”) est fondée - qui “tient” le couteau de circoncision, qui est maître de l’initiation.

Le schéma suivant pourrait illustrer ces trois cas de figure :


Moundang

Le roi est n'est que partiellement initié
il proclame l'initiation, mais n'y survit pas


Initiation = Mort du roi

corps du roi (féminin) / (masculin) crâne du roi


Initiation = Vie des initiés

corps de la verge (masculin) / (féminin) prépuce



Daka

Le roi est féminin
"circoncision et chefferie sont antithétiques"


Initiation = Mort du roi

corps du roi (féminin) /


Initiation = Vie des initiés

corps de la verge (masculin) / (féminin) prépuce



Namchi (?)

L'initiation ne paraît pas antithétique à la chefferie


Initiation = Vie du roi

(le fils du chef accompagne les initiés)


Initiation = Vie des initiés

corps de la verge (masculin) / (féminin) peau de la verge

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