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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloiale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale :
Contribution à l'histoire de l'université de la Réunion (1991-2003)


Exposé (B. C.)
Cet exposé s'appuie essentiellement sur les travaux – discutés (il ne sera pas question dans ce bref exposé des critiques) – de Luca Cavalli-Sforza et ceux de Meritt Ruhlen.


Avant Babel
Génétique des populations et systématique des langues :
hypothèses sur la langue mère


L'objet de cet exposé est de tenter de présenter la problématique de l'origine des langues telle qu'on peut la formuler à l'aide de cette documentation - que je n'ai pas seulement apportée pour épater la galerie.
Il y a deux camps, si je puis dire, dans cette documentation, le camp de ceux qu'on a dénommés (après Raymond Queneau et ses "fous littéraires") les "fous du langage", et le camp d'auteurs que, par opposition, je dirai académiquement "labellisés".
Contrairement à ce que je donne à voir ici, ce sont les glossomaniaques qui ont le plus produit.

Ici, au CRLHOI, la question qu'on peut poser pour ce qui touche l'origine des langues est au fond celle-ci :

Nous, chercheurs en Littérature, ce qui nous intéresse ce sont les constructions romanesques, les créations poétiques, ce peuvent être aussi… les délires sur la langue… Nous importe-t-il de savoir ce que la communauté scientifique peut avancer, aujourd'hui, sur le sujet de l'origine des langues ?

Pour répondre à cette esquive, ou à cette excuse, il faut me semble-t-il commencer par remarquer que la critique littéraire est une science analytique et que ses arguments peuvent être partagés ou, comme on dit en mauvais français "falsifiés", i. e. rationnellement réfutés, comme nous l'a expliqué il y a quelque temps de manière convaincante Bernard Terramorsi. Les chercheurs en Littérature, même s'ils peuvent sacrifier, privément, à la folie des "fous du langage" – et même s'il leur arrive d'écrire (au sens intransitif du verbe) – font partie de la communauté scientifique…

On pourrait justifier cette position de "belle indifférence", non sans justesse, par l'argument que la création littéraire se spécifie par sa capacité à s'affranchir des lois du réel – que la science, elle, a vocation à répertorier – et qu'elle nous décrit et nous engage dans un monde précisément imaginaire. Que la littérature nous instruit sur une réalité qui n'est pas accessible à la science… et que, par conséquent, les objets et les outils de la critique littéraire, nécessairement, ne peuvent rencontrer ceux de la science…

Soit. Il peut d'ailleurs être intéressant – je prends cette fois le point de vue de l'anthropologie – de comparer terme à terme ce que la description littéraire et la description scientifique peuvent avoir à dire sur le même sujet. J'essaierai de m'y employer lors du prochain colloque "Démons et merveilles" en comparant la description du monde par la géométrie des anciens grecs et celle faite par les voyageurs de l'imaginaire du Moyen Âge chrétien, les Solin, Orose, Isidore de Séville… qui sont aussi les héritiers de la culture grecque.

Mais on peut se demander si, notamment pour ce qui touche à la formation des hypothèses, ces intuitions qui dirigent et les savants et les créateurs, délirants compris, la différence est aussi marquée qu'on veut bien le dire… Les mythes linguistiques et les théories scientifiques ne se rejoignent-ils pas dans un même objet : savoir d'où procède le sens, dans une activité métalinguistique qui les rapproche ?

Au fond comprendre la langue, ce serait comprendre le sens des choses, performance que les langues naturelles n'autorisent évidemment pas… Ce qui motive, à cet égard, les "fous du langage", c'est bien la conviction que comprendre la langue, c'est comprendre ce qui fait la spécificité de l'homme dans la création – et c'est aussi le dessein de la science. La plupart de ces langues imaginées partagent, dans leur diversité, l'idéal de retrouver, par un retour à l'origine, les mots qui sont supposés exprimer l'essence des choses. Comprendre la langue, c'est en quelque sorte, se faire l'égal de Dieu. C'est d'ailleurs le titre d'un des ouvrages en cause : La science de Dieu… de Jean-Pierre Brisset – qui finit ses jours dans un asile d'aliénés.

Pour apprécier cet exploit, il faut peut-être se rappeler ce que Pline écrit de l'astronome grec Hipparque, qui a su prédire sur plusieurs siècles les éclipses de la lune et du soleil : “La suite des temps, écrit Pline a témoigné qu’il n’eut pas mieux fait s’il avait pris part aux décisions de la nature. Grands hommes qui vous êtes élevés au-dessus de la condition humaine en découvrant la voie que suivent les divinités […] salut à votre génie, interprètes du Ciel, vous dont l'esprit embrasse la nature entière, créateurs d’une science qui vous a permis, en décryptant et en révélant les calculs des dieux, de vous arracher à l'esprit misérable et craintif des mortels !” (Histoire naturelle, II : 53-54).

Les "calculs des dieux" étant hors de la portée de nos esprits "misérables et craintifs" et les disciplines dont je vais présenter quelques hypothèses n'ayant qu'une visée descriptive et non démiurgique, je vais poser, à l'inverse, que ce qui intéresse ce qu'il est convenu d'appeler le "grand public" touche, par hypothèse, là où l'œuvre littéraire veut atteindre. Je ne vais donc parler, restrictivement, que d'hypothèses qui ont fait la couverture des magazines et aborder les théories scientifiques sur l'origine par leur aspect "mythique". "On a retrouvé Adam" titrait un récent numéro de Science et Vie. Un numéro de la revue de mode Vogue a consacré un article à l'Ève africaine. Le Times a fait une couverture d'une carte des langues du monde dont je parlerai…


*


Je vais donc commencer par une curiosité scientifique, à laquelle il est souvent fait référence. Cette curiosité date de 1866 et elle exprime en réalité la position officielle de la science linguistique, jusqu'à ces dernières années, quant à la question de la langue originelle. L'article 2 de la Société de Linguistique de Paris (société qui est toujours en activité et qui publie environ 1600 pages par an, dans son Bulletin et dans sa Collection) stipule qu'elle n'acceptera aucune communication touchant l'origine des langues ni les propositions de langue universelle.

Cet article a été rapporté, mais l'interdit a en réalité continué à fonctionner jusqu'à une époque récente. Il ne s'agissait pas seulement de protéger la Société et son Comité de lecture des délires graphomaniaques des glossophiles, ces amoureux éconduits de la linguistique. Cet interdit signifie tout autant que les deux sujets en cause ne sont pas et ne peuvent être des sujets scientifiques. La question de l'origine des langues est une question propre à faire délirer.

Pour présenter ce dossier, il faut en réalité commencer, en effet, à limiter les ambitions et à réduire la voilure de ce voyage d'exploration dans le temps.

Les langues humaines connues sont au nombre de cinq mille à six mille (selon que l'on compte les dialectes et les néo-langues que sont les pidgins et les créoles…) – voir, par exemple, le site <www.ethnologue.com> – et les hypothèses que je vais présenter développent, en fait, une manière de "monogénisme restreint", (ou "monogénétisme restreint") par opposition à ce que l'on pourrait appeler un "monogénisme (ou monogénétisme) généralisé" : Autrement dit, c'est non pas l'origine de "toutes" les langues qui auraient été parlées, ce n'est pas, non plus, le processus de la création significative, ce moment où l'homme se serait mis à parler… qui forme le corps des hypothèses en cause, c'est seulement, si je puis dire et c'est déjà beaucoup, l'origine de ces quelque 5.000 langues parlées dans le monde.

L'explication qui soutient l'hyptohèse du monogénisme restreint est très simple :

Si, aujourd'hui, les cartes que les systématiciens peuvent dresser de la diversité des langues et les cartes que, de leur côté, les généticiens des populations peuvent dresser de la diversité du génome se recouvrent presque exactement, c'est parce que ces cartes correspondent à la dispersion de l'homme moderne sur la planète.

Le processus de diversification des langues et le processus de diversification du génome sont bien sûr indépendants mais, ayant affecté une même population qui a colonisé le globe, il n'est pas étonnant que leurs résultats soient superposables. La dispersion géographique de l'homme au cours de l'histoire s'est accompagnée d'une diversification génétique et linguistique que les outils de la génétique et de la linguistique ("l'horloge moléculaire" et la "glottochronologie") permettent de mesurer et de reconstituer.

Une donnée accidentelle vient d'ailleurs au secours de cette hypothèse. L'étude du génome humain impose en effet l'idée d'une coalescence relativement tardive de l'origine généalogique de toutes les populations dispersées sur la planète. L'homme moderne a vraisemblablement frisé l'extinction. Il y a soixante- dix mille ans, nous n'étions sans doute que quelques dizaines de milliers. Ce goulet d'étranglement démographique – peut-être dû à l'explosion du super-volcan Toba à Sumatra, il y a 75 000 ans, dont subsiste une caldeira de 100 km sur 30 km, et qui a vraisemblablement provoqué un "hiver volcanique " mortifère – n'a pas pu laisser passer un grand nombre de familles de langues indépendantes et cette donnée donne du fondement à l'idée que toutes les langues aujourd'hui parlées peuvent procéder d'une même langue, de fait, "originelle".

[Il y a deux corollaires à ceci :
- Il n'existe pas de peuples primitifs. Tous les êtres humains font montre de capacités cognitives et langagières semblables. Le langage est une propriété de l'espèce.
- Il n'existe pas, non plus, de langue inférieure : l'ensemble des langues humaines existantes sont de complexité équivalente, quels que soient leurs choix structuraux. Les différences entre les langues ne sont pas liées à des différences de compétence. (Il est bien connu que tout enfant humain est capable d'apprendre n'importe quelle langue.)]

Maintenant, comment remonter des langues d'aujourd'hui à cette hypothétique langue mère ?

S'il est facile d'établir la parenté entre deux langues proches issues depuis peu d'une même langue mère, trouver l'origine commune de groupes de langues séparés depuis longtemps est d'autant plus difficile que leur divergence est ancienne.

Pourquoi la systématique fonctionne…

La méthode est très simple : il s'agit d'observer les ressemblances entre les mots et entre les structures.
(photocopies n° 1 et n°2)
Pourquoi une méthode aussi simple que l'observation des ressemblances entre les mots de différentes langues peut-elle nous révéler des relations historiques vieilles de milliers d'années ?

Cela tient à la propriété du langage humain, à savoir qu'un mot - n'importe quel mot de n'importe quelle langue - est une association arbitraire d'une suite de sons donnée avec un sens donné. Si différentes langues emploient la même combinaison de sons pour désigner la même notion, il est peu probable que ce soit par hasard : il existe littéralement des centaines ou même des milliers de combinaisons de sons possibles dans une langue pour représenter un concept.

[La convergence. Elle est accidentelle, exception du symbolisme sonore : loi de Grammont, proto-sémantèmes, onomatopées…)
Qd on classe les langues, on laisse ces mots de côté.
L'emprunt.
L'origine commune. Les ressemblances observées aujourd'hui existent parce qu'elles y étaient depuis le début.
Le mot "souris" en I.-E. (Ruhlen : 28)]

La famille indo-européenne

L'acte de naissance de la systématique, de ce travail de comparaison ne date pas d'hier.
En 1786, dans son Troisième Discours à la Société asiatique de Calcutta, William Jones, juriste passionné des langues (il en possédait vingt-huit) déclare ceci :

"La langue sanskrite, quelle que soit son antiquité, est d'une structure admirable. Plus parfaite que la grecque ; plus ample que la latine, et plus exquisément raffinée qu'aucune des deux, mais ayant envers chacune d'entre elles deux une affinité plus forte, tant dans les racines des verbes que dans les formes de la grammaire, qu 'il n 'en pourrait avoir résulté par accident ; si forte, en vérité, qu'aucun philologue ne les pourrait examiner toutes trois sans croire qu'elles ont surgi de quelque source commune, qui, peut-être, n'existe plus ; il y a des raisons semblables, quoique point tout-à-fait aussi puissantes, de supposer que tant le gothique que le celtique, bien que mêlés d'un idiome très différent, ont la même origine que le sanskrit, et le vieux-perse [l'avestique] pourrait être ajouté à cette même famille."

Jones n'est pas le premier à faire cette remarque, mais il lui donne une portée qui fonde les études indo-européennes et la grammaire comparée qui mobilisera la linguistique du XIXe siècle.

[Ainsi, lorsque Jones traça les contours de la famille indo-européenne en 1786, il en exclut des langues comme l'arabe, l'hébreu ou le turc non pas parce qu'il ne les connaissait pas mais au contraire parce qu'il les connaissait…]

[Les langues africaines

Carte 2. Les familles tchadique, nilotique, bantoue et khoisane. (Ruhlen : 53)
Malgré leur vaste extension géographique, toutes les langues bantoues se ressemblent beaucoup. Alors que les quatre langues bantoues choisies pour cet exercice sont originaires des régions du territoire de cette famille les plus éloignées les unes des autres : le douala et le mbundu dans l'ouest de l'Afrique, le swahili dans l' est et le zoulou en Afrique du Sud. Comment des langues séparées par de telles distances peuvent-elles se ressembler autant ? La réponse est très simple. La famille bantoue, qui comprend plusieurs centaines de langues, est le reflet actuel de la migration qui débuta dans le sud-est du Nigeria il y a quelque deux mille trois cents ans et se propagea rapidement vers le sud et vers l'est dans toute l'Afrique subéquatoriale. (Ruhlen : 51)
Il est presque certain que l'expansion des peuples bantous à travers le sud de l'Afrique s'est faite aux dépens de peuples parlant des langues khoisanes, comme le suggère l'existence en Afrique de l'Estde deux langues khoisanes isolées, le hadza et le sandawe. La rapidité de l'avance des Bantous dans un territoire déjà occupé par d'autres peuples témoigne de deux avantages qu'ils possédaient sur les Khoisans. Premièrement, les Bantous étaient agriculteurs, ce qui leur donnait a possibilité de nourrir une population bien plus dense que les chasseurs-cueilleurs khoisans, dont le nombre était étroitement limité par le mode de subsistance. Deuxièmement, les Bantous possédaient, au moins pendant la dernière phase de leur expansion, une métallurgie avancée qui leur procurait des armes de qualité supérieure.]

Si l'on peut regrouper les langues en familles, ne peut faire des familles de familles, des super-familles ?

Les super-familles

Au début de ce siècle, le linguiste danois Holger Pedersen proposa de rattacher l'indo-européen à d'autres familles telles que le sémitique, l'ouralien, l'altaïque et l'eskimo-aléoute au sein d'une famille qu'il appela Nostratique. A peu près à la même époque, le linguiste italien Alfredo Trombetti explora les relations linguistiques à longue distance tout autour du monde, et parvint à la conclusion selon laquelle toutes les langues du monde devaient appartenir à une seule et unique famille, thèse en faveur de laquelle il fournit de très nombreux faits.

L'eurasiatique
Le premier grand groupe de familles que nous avons découvert relie les familles indo-européenne, ouralienne, altaïque, coréenne-japonaise-aïnoue, tchouhchi-kamtchatkienne et eskimo-aléoute au sein d'une famille plus ancienne appelée eurasiatique par le linguiste américain Joseph Greenberg.
Greenberg pour les langues d'Afrique (photocopie n° 3)

Un des faits les plus impressionnants en faveur de la famille eurasiatique est le système grammatical de formation du pluriel des noms par suffixation d'un -t à leur racine, tandis que le duel des noms se forme en y suffixant un -k. - Aucune autre famille de langues (ni même simplement une seule langue) qui possède le même système. (Ruhlen : 81)
C'est précisément ce genre de distribution non aléatoire de mots spécifiques et d'affixes grammaticaux qui définit des familles linguistiques valides.

Sapir pour les langues aborigènes américaines…
Puis Greenberg, de nouveau, qui démontre en 1987 avec "Les Langues des Amériques" qu'il faut classer les langues aborigènes américaines, non pas dans les quelque deux cents familles sur lesquelles les experts s'étaient mis d'accord, mais en en trois seulement (photocopie n° 4).

Vous savez qu'il est parfois difficile de mettre les spécialistes d'accord et que les débats scientifiques peuvent être tout sauf courtois. Ce fut le cas, de manière récurrente, dans les débats qui ont opposé les comparatistes classiques aux systématiciens. Comme nous sommes ici dans un DEA pluridisciplinaire j'insisterai sur le fait que c'est une discipline étrangère au sujet qui a permis de trancher entre les linguistes, la génétique, qui a très largement confirmé les hypothèses iconoclastes de Greenberg.

Au cours de l'étude la plus vaste jamais menée sur du matériel génétique humain (portant notamment sur les groupes sanguins, des protéines et des enzymes), Luca Cavalli-Sforza et ses collaborateurs ont relevé une nette ressemblance entre les groupes de populations (identifiés sur la base des fréquences des gènes contenus dans les noyaux cellulaires) et les familles de langues découvertes par des linguistes tels que Greenberg.
Un bref résumé de leurs résultats fut publié en 1988, et la monographie complète a paru en 1994.
La comparaison faite par Cavalli-Sforza entre groupes d'affinité génétique et familles de langues est reproduite sur la photocopie n° 5.
Ce qui gênait les linguistes opposés à la comparaison n'était pas tant l'existence d'une corrélation entre les gènes et les langues mais bien plutôt que certains des grands regroupements coïncident avec des familles linguistiques de haut niveau telles que l'amérinde, l'eurasiatique/nostratique, l'austrique et l'indo-pacifique, celles-là même que les comparatistes traditionnels avaient enseveli sous une avalanche de sarcasmes.
"La découverte de Cavalli-Sforza montrant que les peuples aborigènes d'Amérique se répartissaient génétiquement dans les familles définies par Greenberg l'année précédente sur la base de leurs langues fut saluée avec stupeur et consternation, écrit Ruhlen. Stupeur parce que les résultats de Greenberg se trouvaient confirrnés de façon indépendante par les recherches d'un autre domaine scientifique."

Plutôt que de parler des langues aborigènes d'Amérique, je vais parler rapidement du dossier indo-européen dont les éléments sont plus accessibles.

L'indo-européen, dont on ne possède aucune trace écrite, et les IE ont fait l'objet de beaucoup de spéculations. Comment expliquer que leur langue, aujourd'hui parlée des rives du Gange jusqu'à l'Islande, ait pu s'imposer de cette sorte ? L'hypothèse d'un peuple conquérant peuplant les steppes de l'Ukraine et ayant domestiqué le cheval, se mettant en mouvement au début de l'âge du bronze (vers 3.000 avant l'ère chrétienne) et se répandant à la fois vers l'Est et vers l'Ouest (hypothèse synthétisée par Gordon Childe en 1926) a longtemps prospéré. Davantage sous-entendue que développée comme telle d'ailleurs, faute de matière (les travaux portant sur la langue et les représentations ; Benvéniste, Dumézil…)
La couverture de l'ouvrage d'André Martinet,"Des steppes aux océans. L'Indo-européen et les "Indo-européens", republié en 1994, qui représente (si ma mémoire est bonne) un cheval au galop, exprime la persistance de cette idée…

Il existe une autre hypothèse, moins héroïque (et moins "romantique") sans doute, selon laquelle l'expansion des langues indo-européenne serait tout simplement liée à l'expansion des agriculteurs à partir de l'Anatolie : du "Croissant fertile" vers l'Est et vers l'Ouest (photocopie n° 6). La révolution néolithique, l'invention de l'agriculture aurait soutenu une croissance démographique alimentée par le constat (banal) que l'agriculture permet de nourrir cinquante fois plus de personnes que la chasse et la cueillette. Ce mode de vie impose d'ailleurs aux chasseurs-cueilleurs un espacement des naissances réalisé par un sevrage tardif et des règles d'abstinence sexuelle. Il faut évidemment, dans cette hypothèse, reculer la date du début de l'expansion de l'I.-E. La radiation (comme on dit en anglais) des langues I.-E. remonterait à - 7000, soit en effet vraisemblablement à l'époque de la première migration des agriculteurs.

Il se trouve qu'une confirmation de cette hypothèse est donnée par l'analyse du sang.
Je rappellerai que le premier exemple de polymorphisme génétique héréditaire et totalement invisible a consisté dans la découverte, au début du XXe siècle, des groupes sanguins. Cette compréhension est essentielle, on le sait, au succès des transfusions sanguines. Il existe trois formes principales du gène : A, B et O. On peut appartenir non pas à trois, mais à quatre types (ou groupes) différents : O, A, B, AB (ce qui constitue une petite complication due au fait que chacun d'entre nous reçoit un exemplaire de chaque gène du père, et un exemplaire de la mère ; ainsi, le type AB reçoit A d'un parent et B de l'autre).

En 1917, L. et H. Hirszfeld, deux immunologues polonais travaillant à Paris, examinèrent plusieurs groupes ethniques différents, des Anglais aux Vietnamiens, en passant par les Sénégalais et les Indiens d'Asie, qui avaient été mis "à leur disposition" parmi les soldats de troupe des empires coloniaux de France et d'Angleterre, et les prisonniers de la Première Guerre mondiale. Ils s'aperçurent que les proportions d'individus des quatre groupes (0, A, B, AB) étaient toujours différentes dans chaque population. Nous savons aujourd'hui que c'est la règle.
[Landsteiner]

Avec ce travail était née l'anthropologie génétique.

Un autre facteur bien connu est le facteur rhésus.
L'analyse génétique la plus simple permet de distinguer deux types : Rh+ et Rh-. Dans l'ensemble, les gens sont majoritairement ou exclusivement positifs. Les formes Rh négatives sont pratiquement toutes d'origine européenne.
C'est la distribution géographique du gène Rh qui a permis de conforter l'hypothèse du foyer "anatolien" de l'I.- E.
Il suffit de comparer les deux cartes (photocopie n° 7 et photocopie n° 8) pour constater que l'expansion de l'agriculture vers l'Europe de l'Ouest correspond aussi à un gradient du Rh -. Ce gradient tend vers un isolat bien connu, qui a d'abord été identifié comme tel par la langue. Le basque est une des rares langues parlées en Europe qui n'appartienne pas à la famille I.-E. Les basques sont probablement les descendants d'une population mésolithique qui occupait l'Europe avant l'expansion des agriculteurs.

La fréquence la plus élevée d'individus Rh- (25 % ou plus) se rencontre chez les Basques, ce qui suggère que le gène Rh- trouve son origine en Europe. Les fréquences les plus élevées de Rh+ sont généralement localisées dans l'ouest et dans le nord-est de l'Europe ; elles diminuent régulièrement plus on va vers les Balkans, comme si l'Europe avait été, à un certain moment entièrement Rh- (ou du moins très riche en individus Rh-) et qu'une population d'individus Rh+, entrés par les Balkans, s'étaient diffusés vers l'Ouest et le Nord en se mélangeant avec les Européens de vieille souche.

L'Ève africaine…

Pourquoi l'"Ève africaine" et non l'"Adam africain" ? Tout simplement parce la "remontée" dans le temps en cause a été permise par l'analyse de l'ADN mitochondrial. Chacune de nos cellules contient l'ADN du noyau et un autre ADN contenu, lui dans ces corpuscules qui se trouvent dans la cellules et qui lui fournissent de l'énergie, dits "mitochondries" : "mitos" filaments, "khondros" cartilage. Cet ADN est composé d'environ 15600 nucléotides (alors que n'importe quel chomosome de l'ADN du noyau en comporte des dizaines ou des centaines de millions. Enfin, cet ADN est transmis uniquement par la mère. Parce que les mitochondries du père siègent dans le flagelle des spermatozoïdes qui, on a tous vu ça au moins à la télé, ne pénètre pas dans l'ovule. L'horloge moléculaire, c'est-à-dire cette échelle qu'on peut construire en observant la vitesse moyenne des mutations (substitution de nucléotides) permet en comparant des segments d'ADN d'humains répartis sur le globe, de calculer leur distance par rapport au segment originel (lui-même construit à partir de la bifurcation qui définit l'homme moderne) et de proposer une origine comprise entre 300.000 et 150.000 ans… ÈVE, oui si l'on considère que toutes ses contemporaines n'ont pas laissé de descendance…

Récemment, un groupe de généticiens dirigé par feu Allan Wilson a effectué des recherches sur la phylogénie humaine à partir de l'ADNmitochondrial, qui se transmet en lignée strictement féminine et est donc plus facile à interpréter généalogiquement que l'ADN du noyau cellulaire. Ces chercheurs ont découvert, tout comme l'équipe de Cavalli-Sforza à partir du matériel génétique nucléaire, que le plus profond clivage parmi la population humaine est celui qui sépare les populations africaines subsahariennes de celles du reste du monde.]

Pour résumer cette rencontre disciplinaire :

Puisqu'il n'existe pas de lien direct entre les gènes d'une personne et la langue qu'elle parle, comment expliquer alors la forte corrélation entre les familles de langues (définies par les linguistes) et les populations humaines (définies par les généticiens) ?
La réponse est simple : les familles de langues et les populations humaines biologiquement distinctes résultent conjointement de certains événements historiques (ou, plus souvent, préhistoriques).
Par exemple, lorsque des êtres humains, il y a quarante mille ans, occupèrent pour la première fois l'Australie, cette population initiale apporta avec elle une langue spécifique (le proto-australien) et un patrimoine génétique spécifique. Depuis cette époque, le proto-australien s'est différencié en plusieurs centaines de langues distinctes, et les patrimoines génétiques des populations parlant ces langues ont également divergé.
Cette corrélation entre langues et gènes reflète simplement un événement historique particulier - le peuplement initial de l'Australie.
De façon similaire, la corrélation entre les langues et les gènes dans les Amériques a été interprétée par Greenberg et ses collaborateurs comme le reflet de trois vagues migratoires distinctes. La migration initiale amena une population parlant le proto-amérinde. Les migrations ultérieures amenèrent ensuite en Amérique les ancêtres des familles na-dene et eskimo-aléoute, toutes deux considérablement plus homogènes que l'amérinde, tant par leurs gènes que par leurs langues.]

Arrivés à ce point, la question est : est-il possible d'accéder, en remontant de langue en familles de langues, puis de familles de langues en super-familles à la "langue-mère" :

Existe-t-il des racines mondiales ?

Le nombre de familles évidentes est d'environ quatre cents.
Combien y a-t-il de proto-familles ?
D'après les travaux de Greenberg et des chercheurs russes, il en existerait une douzaine.
L'étape suivante sera maintenant de comparer entre elles toutes les familles de langues du monde, afin de voir si elles partagent certains éléments communs.

Familles de langues du monde.
khoisane (A), nilo-saharienne (B), nigéro-kordofanienne (C), afro-asiatique (D), kartvélienne (E), dravidienne (F), eurasiatique (G), dene-caucasienne (H), austrique (I), indo-pacifique (J), australienne (K) et amérinde (L).

Quelques linguistes ont évidemment tenté de reconstituer un certain nombre de mots "de l'origine"… L'ouvrage de Ruhlen se termine par la proposition de 27 de ces termes…

TIK, " doigt, un "
Pour l'anecdote et pour une vérification involontaire. Je me trouvais sur le terrain, il y a qq années avec un collègue malgache. Je n'avais pas commencé à apprendre la langue et je lui parlais justement de ce livre de Ruhlen qui venait de paraître.
– Tu sais d'après ce linguiste il existerait des racines universelles. Par exemple TIK/TI est supposé signifier un (ou montrer) dans la plupart des langues connues. Au fait, comment dit-on "ceci" en malgache ?
– On dit "ti"…

15. - MANO " homme"

et qq autres…

Maintenant : y a-t-il un intérêt à parler cette hypothétique langue des origines ? À quoi bon apprendre une langue universelle que tout le monde a parlé et que personne ne comprend ?

Il n'y en a aucun. (Même si un linguiste russe s'est essayé à un poème écrit en Nostratique…)
Le seul intérêt est un intérêt scientifique… Mais l'intérêt scientifique, quand l'homme est à la fois sujet et objet, peut être goûté.

Je vais donc m'autoriser, pour conclure, et tenter de réconcilier, sans vraiment y croire, "glossologues"et "glossomaniaques", "fous du langage" et "arpenteurs de la langue", du délire d'un glossophile dont j'ai parlé en commençant et qui, je l'ai dit, a fini ses jours dans un asile d'aliénés.

"Vous devez savoir, écrit donc Jean-Pierre Brisset dans La science de Dieu, que les grenouilles n'ont pas de sexe apparent. La venue du sexe chez cet ancêtre fut la nouveauté à l'origine de la langue […] La première chose que remarqua l'ancêtre et qu'il ne connaissait pas, c'était un sexe en formation. Ai que ce ? exe, premier non du sexe fut la première question. On questionna ensuite : Ce exe, sais que c'est ? Ce exe est, ce excès, c'est le sexe. On voit que le sexe fut le premier excès." Jean-Pierre Brisset, La science de Dieu (1900). (photocopie n° 13)

Je vais donc m'autoriser de cet excès, qui avec la curiosité scientifique caractérise notre espèce, pour remarquer que parmi les racines reconstruites par nos systématiciens, figure la racine PUTI qui signifie vulve et, bien entendu, par métonymie, putain…

N'est-il pas rassurant au fond de savoir que le plus vieux métier du monde, comme on dit sans y penser, est aussi le plus vieux mot du monde. Que Madame Putiphar, ce personnage biblique de la lascivité et de la tentation porte un teknonyme qui se lit sur sa figure…
N'est-il pas rassurant de savoir que, condamnés à vivre ensemble, nous appartenons, non seulement à la même famille génétique, mais aussi à la même famille linguistique.
Que la langue maternelle qui nous babélise – i. e. qui à la fois nous disperse et nous jette dans la confusion, selon le jeu de mots contenu dans le terme biblique – nous fait aussi parents.

Nous étions un avant Babel, nous le restons après.

Ce constat objectif, scientifique, ne vaut-il pas tous les délires du monde ?

Merci !


NOTES

Mélanomie

Lorsque les hommes se sont dispersés à la surface de la terre en partant de l' Afrique, une adaptation aux condidons écologiques et climatiques, très différentes du continent d'origine à l'exception de l'Australie et d'autres régions tropicales, a été nécessaire. Cette adaptation a été soit culturelle, soit biologique. Dans l'espace de temps qui s'est écoulé depuis et qui a été de trois ou quatre dizaines de milliers d'années tout au plus, il a été possible de développer des types génétiques appropriés.
Nous en voyons clairement les traces dans la couleur de la peau, la forme du nez, des yeux et du corps. Il a été dit que chaque groupe ethnique est bâti selon des concepts très intelligents de génie écologique (ingénierie écologique).
La couleur noire de la peau protège ceux qui vivent près de l'Équateur des inflammations cutanées dues aux ultraviolets de la radiation solaire, qui peuvent conduire à des épithéliomes dangereux.

L'écran d'ozone est une puissante barrière mais elle laisse cependant passer les longueurs d'onde supérieures à 290 nanomètres (nm), qui pénètrent le corps humain. La peau déploie alors un système de défense, dont l'efficacité varie d'un individu à l'autre. Les composantes du rayonnement solaire sont distinguées par leur longueur d'onde. Plus celle-ci est et courte, plus les rayons sont puissants et donc, potentiellement dangereux pour notre organisme. Au cours de son développement, la vie a réussi à neutraliser les rayons gamma, les rayons X et les ultraviolets C (UVC) en constituant une couche d'ozone capable de les bloquer. Mais il existe bien d'autres rayonnements. Ainsi, au-delà des UVC, dont la longueur d'onde ne dépasse pas 290 nm, les UVB (290 à 320 nm), puis les UVA 1320 à 400 nm), qui ne sont qu'en partie filtrés par la couche d'ozone. Là se situe la zone à risque pour le corps humain, car nos structures moléculaires sont capables d'absorber ces rayons hautement énergétiques. La couche d'ozone n'est pas seule responsable de la filtration des rayons du Soleil. Toute l'atmosphère (nuages, brume, pollution) y participe. Ces éléments sont de moins en moins présents à mesure que l'on monte en altitude, de sorte que la quantité d'ultraviolets non "filtrés" par l'atmosphère augmente de 4 % tous les 300 mètres. Par ailleurs, les UV sont d'autant plus violents que l'on est plus proche de l'équateur, zone où les rayons solaires atteignent la Terre à la verticale.

Privée des poils qui recouvraient le corps de nos ancêtres, la peau a développé un système de défense. Cependant les êtres humains sont plus ou moins bien armés pour résister aux agressions solaires. La peau se protège des rayons agressifs en secrétant une substance capable d'absorber les radiations UV : la mélanine. Elle est produite par les cellules appelées mélanocytes, situées à environ 0,1 millimètre sous la peau. Chaque mélanocyte fabrique en son sein des petits sacs, les mélanosomes, qui, en mûrissant, se chargent d'un pigment coloré, la mélanine. Ils sont alors transférés vers les kératinocytes, cellules constitutives de l'épiderme à 95 %. Au cours de leur migration vers la surface cutanée, les mélanosomes sont dissous, plus ou moins rapidement en fonction de leur taille. Il existe deux types de mélanines : les mélanines de couleur rouge (phaeomélanines) et les mélanines de couleur noire (eumélanines). Les premières ont un poids moléculaire plus faible que les secondes et sont plus facilement digérées dans les kératinocytes. Arrivées à la surface de la peau, les phaeomélanines ne sont plus que poussières, qui n'absorbent qu'une partie du spectre solaire. La peau paraît blanche à l'œil humain. À l'inverse, les eumélanines, qui persistent à la surface cutanée, absorbent toutes les composantes du spectre, ce qui revient à donner à la peau une couleur noire. En fait, nos cellules fabriquent pratiquement toujours les deux types de mélanines, qui se mélangent pour donner toutes les couleurs de peau existantes. Les eumélanines sont majoritaires chez les populations noires, les phaeomélanines chez les roux. Ce sont donc à la fois la quantité et la qualité des mélanines qui déterminent la couleur de la peau, ainsi que sa capacité d'absorption des radiations solaires. Sous l'action des UV, les phaeomélanines subissent une réaction chimique qui altère les constituants des cellules de la peau. En revanche, les eumélanines, qui ont la faculté d'absorber complètement les ultraviolets, neutralisent l'énergie dont ils sont porteurs, protégeant le matériel génétique des cellules de l'épiderme et du derme sous-jacent.
Le bronzage, une action de défense. Le bronzage est déclenché par les ultraviolets B (UVB) et, dans une moindre mesure, par les UVA. La pénétration des UVB dans l'épiderme entraîne progressivement une accélération de la fabrication de mélanosomes, substances chargées du pigment responsable de la coloration de la peau. Un phénomène spectaculaire se produit alors : les mélanosomes cessent de se disposer au hasard dans les cellules de l'épiderme (kératinocytes), pour se regrouper au-dessus du noyau de celles-ci. Ils forment ainsi une sorte d'ombrelle qui protège la partie la plus sensible du kératinocyte. Ce processus de défense est long à se mettre en route mais, une fois amorcé, il se prolonge durablement après les expositions au soleil.

L'alimentation à base presque exclusive de céréales ne pemettrait pas aux Européens d'éviter le rachitisme, dû au manque de vitamine D dans ces graines. Mais les Blancs peuvent en former suffisamment à partir des précurseurs contenus dans les céréales, puisque leur peau pauvre en pigments mélaniques permet aux ultraviolets de pénétrer en dessous et de transformer ces précurseurs en vitamine D.
La principale source de vitamine D est le soleil.  En effet, la vitamine D peut se synthétiser  par les stérols de la peau (la molécule 7-déshydrocholestérol ), lorsqu’ils ont un contact avec les rayons ultra-violets du soleil. Liposoluble, cette vitamine a comme principale fonction la fixation du calcium sur les os. La vitamine D aide l’absorption du calcium et du phosphore dans l’intestin grêle et à leur réabsorption au niveau des reins. La vitamine D entretien la structure osseuse et dentaire, joue un grand rôle dans la croissance et elle est essentielle pour maintenir un équilibre phosphocalcique dans l’organisme. Les carences en vitamine D causent : déminéralisation, troubles dans la formation du squelette et des dents, épaississement des articulations, anémie, tuberculose ; fatigue et ventre volumineux, rachitisme et retards mentaux chez l'enfant ; ostéomalacie chez l'adulte, retards de croissance et fractures spontanées.
Les enfants à peau pigmentée ont davantage de problème de rachitisme car ce pigment fait écran au passage des rayons ultra-violets et donc à la transformation du 7-déshydrocholestérol en vitamine D.

Taille et stature

La forme et la dimension du corps sont adaptées autant à la températuee qu'à l'humidité ; dans les climats chauds et humides, comme en forêt tropicale, il est plus expédient d'avoir une petite taille, la surface augmentant proportionnellement au volume. C'est à la surface que se produit l'évaporation de la sueur qui permet au corps de se refroidir. Le fait d'avoir une petite taille permet d'avoir besoin de produire moins d'énergie et donc moins de chaleur à l'intérieur du corps au cours des déplacements. De cette façon, on parvient à diminuer le risque de surchauffe qui est à l'origine du coup de chaleur. Les populations de la forêt tropicale, les Pygmées par exemple, sont de petite taille.

Les peuples qui habitent la forêt tropicale, où le climat est très humide, sont généralement petits : c’est le cas dans le sud de l’Inde comme en Indonésie, aux Philippines et en Nouvelle-Guinée, pour les Mayas d’Amérique centrale comme pour les habitants des forêts tropicales brésiliennes.
La forêt équatoriale a un climat particulier. Il n’y fait pas très chaud, mais il y règne presque toujours une humidité de 100 %.
La sueur nous aide à nous rafraîchir parce qu’en s’évaporant elle produit du froid. C’est le principe même du réfrigérateur : où un fluide spécial, en s’évaporant dans un récipient fermé, absorbe la chaleur, la retirant à l’espace interne du réfrigérateur, avant d’être ramené ensuite à l’état liquide à l’extérieur puis de nouveau soumis à évaporation, dans un cycle continu.
Avec une humidité de 100 %, la transpiration, qui est notre mécanisme normal de défense contre la chaleur excessive, n’est pas très efficace, ou même ne l’est pas du tout : si la sueur ne s’évapore pas elle demeure à l’état de liquide, elle ne peut nous rafraîchir.
Les habitants naturels des forêts tropicales se protègent grâce a leur petite taille, et cela de deux manières.
Le premier mécanisme de protection découle du fait que lorsqu’un corps est de petite taille, la surface de ce corps, rapportée à son volume, est plus grande.
C’est une réalité mathématique : si le cube A a un centimètre de côté et que le côté du cube B mesure le double, la surface de A sera le quart de celle de B, mais son volume sera huit fois plus petit.
La chaleur est produite dans la masse du corps (dans le foie et dans les muscles) et elle s’évacue par la surface.
Si celle-ci est comparativement plus grande, parce que nous sommes plus petits, la chaleur s’évacue plus facilement et l’action de refroidissement est plus efficace.
Dans un milieu chaud et humide, il convient donc d’être petit. C’est un premier mécanisme de protection.
(Cf. un roman de Sauer : un blanc installé dans une petite ville à la limite de la forêt : sa principale activité consiste à transpirer et à alimenter cette transpiration par la bière qu'il engloutit...)
Un autre avantage de la petite taille, pour qui doit dépenser une énergie considérable, est que l’on a besoin de moins d’énergie pou déplacer son propre poids. Les marathoniens, sont généralement d’une corpulence plutôt menue.
Lorsqu’il se déplace, l’Indien fait moins d’effort qu’un individu plus grand que lui, parce que le poids qu’il a à déplacer est moindre. Les poneys sont plus efficaces que les grands chevaux en termes de production d’énergie, relativement à la quantité de nourriture qu’ils
consomment.

Phénotypie (caractères visibles)

Les caractères responsables de l'adaptation climatique sont en général très homogènes, c'est-à-dire qu'il n'y a que très peu de variation individuelle dans un même groupe, soumis au même climat; On ne s'attend donc à ce qu'un caractère d'adaptation climatique soit uniforme, mais différent de ce qu'on trouve dans des régions climatiques différentes.
Cette adaptation est le fait d'une sélection naturelle très forte.

Les caractères d'adaptation climatique sont d'abord des caractères de la surface du corps. Celle-ci est l'interface entre l'intérieur et l'extérieur du corps, et revêt donc une grande importance dans la régulation du passage de la chaleur de l'extérieur à l'intérieur, et vice-versa, et pour l'adaptation climatique.

Nos jugements sont conditionnés par les caractères de surface : les différences visibles sont significatives.

Une variation invisible : les polymorphismes génétiques
Le premier exemple de variation parfaitement héréditaire et totalement invisible fut le système de groupes sanguins AB0. Découvert au début du siècle, il a été l'objet d'innombrables recherches, puisqu'il s'est révélé fondamental pour le succès des transfusions sanguines. Il existe trois formes principales du gène : A, B et 0. Ces formes sont strictement héréditaires. Les individus peuvent être non pas de trois, mais de quatre types (ou groupes) différents : 0, A, B, AB, ce qui constitue une petite complication due au fait que chacun d'entre nous reçoit un exemplaire de chaque gène du père, et un exemplaire de la mère; ainsi, le type AB reçoit A d'un parent et B de l'autre.
En 1917, L. et H. Hirszfeld, deux immunologues polonais travaillant à Paris, examinèrent plusieurs groupes ethniques différents, des Anglais aux Vietnamiens, en passant par les Sénégalais et les Indiens d'Asie, qui avaient été mis à leur disposition parmi les soldats de troupe des empires coloniaux de France et d'Angleterre, et les prisonniers de la Première Guerre mondiale. Ils s'aperçurent que les proportions d'individus des quatre groupes (0, A, B, AB) étaient toujours différentes dans chaque population. Nous savons aujourd'hui que c'est la règle.
Avec ce travail était née l'anthropologie génétique.
La première hypothèse sur l'origine historique d'un peuple et d'un gène a été faite pour le gène Rh, peu après 1940. L'analyse génétique la plus simple permet de distinguer deux types : Rh+ et Rh-. Dans l'ensemble, les gens sont majoritairement ou exclusivement positifs. Les formes Rh négatives sont pratiquement toutes d'origine européenne. La fréquence la plus élevée d'individus Rh- (25 % ou plus) se rencontre chez les Basques, ce qui suggère que le gène Rh- trouve son origine en Europe. Les fréquences les plus élevées de Rh+ sont généralement localisées dans l'ouest et dans le nord-est de l'Europe ; elles diminuent régulièrement plus on va vers les Balkans, comme si l'Europe avait été, à un certain moment entièrement Rh- (ou du moins très riche en individus Rh-) et qu'une foule d'individus Rh+, entrés par les Balkans, s'étaient diffusés vers l'Ouest et le Nord en se mélangeant avec les Européens de vieille souche…

Distances génétiques
L'isolement par la distance

La disparition de groupes non-O en Amérique est-elle due à la dérive (homogénéisation) ? Nous ne le savons pas de façon certaine, mais une autre hypothèse doit être considérée : il se peut que la sélection naturelle en ait été responsable. Les individus de groupes différents ont souvent une résistance différente à certaines maladies. Pour le système ABO, cela a été vérifié en particulier pour maintes maladies infectieuses. Or il semble que la syphilis se soit développée en Europe après le retour d'Amérique de Christophe Colomb. Quelques données font penser que, même aujourd'hui, les individus de groupe 0 sont plus résistants que les autres à cette maladie. Si ces données étaient confirmées, il s'agirait d'un phénomène de sélection naturelle, la syphilis ayant été responsable de la disparition des gènes A et B en Amérique.

Mille générations représentent à peu près trente mille ans chez l'homme.
Si la sélection naturelle est très forte, le processus de substitution d'un gène peut demander seulement quelques milliers d'années, comme cela est arrivé en Europe et en Afrique où l'on note dans certaines régions une nette propension a l'utilisation du sucre du lait, le lactose, chez les adultes. Les enfants utilisent bien le lactose du lait, mais ils perdent cette capacité vers trois ou quatre ans, lorsqu'ils cessent ou devraient cesser de se nourrir du lait maternel. Auprès des populations ayant appris à élever les brebis, les chèvres, les vaches et autres animaux, y compris le chameau, et qui continuent à se nourrir de lait frais après le sevrage, il y a eu une sélection en faveur du type génétique qui permet de conserver à l'âge adulte la capacité d'utiliser le lactose. Ce processus a pris près de dix mille ans; il a été presque complet, c'est-à-dire que presque 100 % de la population possède ce type génétique nouveau.

Lactase et sélection

Réaction au lait due à un déficit congénital ou acquis en une enzyme, la lactase, spécifique de la muqueuse (couche de cellules recouvrant l'intérieur des organes creux) de l'intestin.
Cette enzyme est nécessaire à l'hydrolyse (décomposition) du lactose (qui est un glucide = sucre) en deux autres glucides, le glucose et le galactose, qui sont les principaux glucides du lait. La lactase fait partie de la bordure en brosse des entérocytes (cellules composant la paroi de l'intestin). Selon les ethnies, l’activité de décomposition du lactose par le nourrisson est variable. Le déficit en cette enzyme semble génétiquement programmé et varie de 3 % dans les pays du Nord à 75 % dans les pays du Sud comme l'Italie et les régions méditerranéennes. Le bol lacté (lait et aliments contenant du lactose) arrive dans l'intestin grêle puis dans le colon sans avoir été digéré. À ce niveau, le lactose (qui n’a donc pas été décomposé en glucose et en galactose) va stimuler le péristaltisme (les contractions du côlon) et favoriser la fermentation des bactéries du côlon à l'origine d'une production d'acide organique diminuant le pH (augmentant l'acidité) des selles. Les selles présentent une odeur aigrelette et sont irritantes pour le siège. D'autre part, la fermentation des bactéries anaérobies (ne nécessitant pas d'oxygène pour survivre et se multiplier) est à l'origine de dégagement par les poumons (dans l'air expiré) d'une certaine quantité d'hydrogène. Ce phénomène est à l'origine du test à l'hydrogène expiré.]

Langues et gènes

Une "extraordinaire" liaison statistique entre la diversification génétique des populations humaines et celle des langues qu'elles parlent.
Une telle coïncidence ne peut s'expliquer que par une histoire de divergences commune aux gènes et aux langues.
Du côté des gènes, il n'y a aucun doute sur l'origine commune des humains actuels à partir d'une population " mère " de la préhistoire. (6)
La " langue mère " de Merritt Ruhlen apparaît donc comme une hypothèse très cohérente avec ces faits. (préface)

Le deuxième grand groupe de familles de langues identifié est connu sous le nom de dene-caucasien. Il regroupe le basque, le caucasien, le burushaski, le sino-tibétain, le iénisséen et la famille américaine na-dene. (85)

Pour de nombreux spécialistes du XIXe, la famille indo-européenne constituait la forme la plus évoluée du langage humain, et ils se représentaient les langues du reste du monde comme des stades plus primitifs du développement du langage. Certains chercheurs ont même alors suggéré que le babil plein de clicks des langues khoisanes pourrait représenter un niveau intermédiaire entre d'une part les aptitudes langagières rudimentaires des chimpanzés et autres primates, et d'autre part les langues européennes pleinement évoluées.

Cet arbre génétique présente une autre divergence avec les données linguistiques : ni l'eurasiatique ni le nostratique n'y constituent une unité distincte. Au contraire, les branches asiatiques de l'eurasiatique semblent génétiquement plus proches des deux familles de langues américaines (le na-dene et l'amérinde) qu'aucune d'entre elles ne l'est de la branche européenne de l'eurasiatique (c'est-à-dire l'indo-européen). Et elles ne sont pas très proches non plus des extensions de l'eurasiatique postulées par le nostratique (le dravidien et l'afro-asiatique); en revanche, étant donné que des peuples parlant des langues indo-européennes ont été en contact permanent avec des peuples de langues aussi bien dravidiennes qu'afro-asiatiques, on peut penser que l'association privilégiée de l'indo-européen à ces deux familles reflète un courant d'échanges génétiques continu sur une longue durée. Linguistiquement, l'indo-européen est plus proche des membres du nœud d'Asie du Nord de la figure 11 (ouralien, altaïque, tchuutch-kamtchkien et eskimo-aléoute).

Ensuite, la langue basque, membre du dene-caucasien, est bien sûr totalement distincte des autres langues d'Europe, et Cavalli-Sforza et al. (1994) ont montré que les Basques présentent des particularités génétiques frappantes par rapport aux autres populations européennes, par exemple une fréquence élevée des gènes codant pour le caractère rhésus négatif. Mais, dans une perspective mondiale, les Basques sont si étroitement associés aux autres populations européennes sur le plan génétique qu'ils n'apparaissent pas comme une entité distincte dans les figures 10 et 11.



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