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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloiale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale :
Contribution à l'histoire de l'université de la Réunion (1991-2003)


introduction : éléments d'analyse
présentation thématique
liste chronologique

À la mission parlementaire sur la recherche

le 17 juin 1999


B. C.,
professeur des universités
responsable du dpt d’Ethnologie de l’université de la Réunion

à la mission parlementaire [...] sur la RECHERCHE
sur le thème de l’évaluation de la recherche


Je souhaiterais, en guise de contribution à la réflexion sur l’administration de la recherche, que la mésaventure (ou le "cataclysme") que vient de connaître notre laboratoire soit utile à la cause commune.

Le jour même où j’apprenais, d’une lettre du Président du Conseil National des Universités, ma promotion à la première classe, le Ministère nous communiquait les termes d’une expertise concluant à la liquidation du laboratoire que je représente. Il n’y aurait rien eu là de bien remarquable, les recompositions, les réorientations ou les changements de problématique étant chose relativement courante, s’il s’était agit d’une péripétie de cette sorte.

En réalité, en deux phrases, l’Expert du Ministère décidait purement et simplement de retirer l’habilitation (et donc de couper les crédits) à un laboratoire qui existe depuis 1985 et qui constitue l’unique pôle de recherche en sciences sociales de l’université. La première partie de ce verdict n’est pas la moins étonnante, car il était à la portée de l’esprit le moins affûté de percevoir que, le département d’Ethnologie - le plus modeste de la Faculté des Lettres - ayant soutenu, à lui seul, au cours du dernier plan quadriennal, autant de thèses que l’ensemble des autres départements de la Faculté réunis (dont tous les laboratoires ont été reconduits), il était pour le moins aventureux d’écrire que “le nombre des thèses soutenues [y était] faible”.

Mais c’est l’admonestation qui conclut ce verdict, qui nous recommande de “[redéfinir] un projet de recherche en anthropologie capable de rayonner plus fortement dans le domaine de l’anthropologie de l’océan indien”, qui nous a plongé dans la plus grande perplexité. Quand, payant et de notre personne et de nos propres deniers, nous avons réussi, malgré un environnement administratif et scientifique contraire, à mettre sur pied des relations scientifiques et des échanges suivis avec les universités malgaches, avec Maurice et avec les Comores. En témoigne, pour ne prendre qu’un exemple, le procès-verbal d’une rencontre (où nous n’étions pas représentés) de 17 enseignants de la Faculté des Lettres de Tananarive et deux enseignants de l’université de la Réunion, tenue ce 28 avril 1999, qui cite l’action de notre laboratoire comme le modèle de la coopération entre nos deux universités.

Comment expliquer que l’Expert du Ministère ait pu voir, lui, exactement le contraire ?

L’idée de ma contribution au débat sur l’organisation de la recherche - l’extension du cas à la cause - est que ce qui a été fait pour la Justice (ou en passe de l’être) le soit aussi pour la Recherche. S’il est légitime que la collectivité nationale soit juge des priorités et des coûts, l’évaluation de la recherche doit être, sauf à faire exception aux principes de la science, compétente, libre et contradictoire. On sait comment le Ministère – quelle que soit la majorité – recrute ses Experts : par téléphone. Selon les disponibilités et les relations, l’expertise étant considérée dans l’université française comme un privilège régalien ou comme une activité de second ordre (d’abord par les acteurs de la recherche qui ont mieux à faire), ce sont, de fait, des administratifs, des apparatchiks ou des retraités qui se trouvent en position de juger ceux qui investissent leur temps et leur énergie dans la production scientifique. Rien n’est plus faux que celui qui croit connaître, a fortiori quand il n’a à répondre qu’à lui-même de ses erreurs. C’est que montre la suite - qui vaut le détour - de notre affaire.

La Direction de la Recherche et des Études Doctorales a annoncé début mai la visite à l’université de la Réunion, du 14 au 17 mai, du Sous-directeur de la Recherche – dont j’ai quelque raison de penser qu’il est responsable de notre expertise (il a en effet passé quelques jours à la Réunion en 1989). Son secrétariat nous a alors fait savoir qu’il souhaitait que nous programmions pendant son séjour un séminaire qui serait animé par une de ses anciennes élèves malgache ayant fait une thèse d’histoire sous sa direction, séminaire dont l’objet était (je cite ce qui a été dicté par téléphone) : d’“établir des contacts” entre l’université de la Réunion et l’université d’Antananarivo. Il serait donc dit à quoi devait ressembler cette coopération, jusque-là vraisemblablement inexistante ou vaine... Je n’aurais malheureusement pas pu profiter directement de la leçon car je séjournais à Tananarive à cette date en raison d’une exposition que j’y organisais avant de partir “sur le terrain” dans le sud-est de Madagascar. Mais deux de mes collègues du département d’Ethnologie, rentrant tout juste d’une semaine d’enseignement à Antananarivo et ayant engagé une mission d’ethnomusicologie dans le nord de Madagascar pour l’un d’eux, s’y préparaient. La visite – et le séminaire – ayant été annulés à la dernière minute, nous avons été malencontreusement privés de cette démonstration.

Il toutefois est permis de douter que la venue à la Réunion de cette collègue malgache, que je ne connaissais pas – quelle que soit sa valeur et même revêtue de l’onction mandarinale – alors que je me rends plusieurs fois par an à Madagascar (séjournant, pour ma part, plusieurs semaines à Antananarivo quand j’y assure un enseignement) et que nos deux universités entretiennent des échanges qui mobilisent tous ceux qui sont intéressés par cette collaboration, ait été en mesure d’en modifier sensiblement le cours. En réalité, d’ailleurs, ce n’est pas, comme nous l’avions cru d’abord, de Paris, “dans les fourgons du ministre”, que notre collègue – qui est toujours la bienvenue chez nous – devait arriver (ce qui aurait expliqué que nous ne la connaissions pas), mais d’Antananarivo, sur des crédits Présup, pour y rejoindre le Sous-directeur de la recherche pendant son séjour réunionnais.

Tout cela – qui est assez commun – montre le sérieux de ceux qui sont responsables de notre liquidation.

Comme il est mal vu que le dénonciateur soit aussi la victime – il n’y a jamais de fumée sans feu – j’élèverai le débat en me référant à plusieurs points de vue collectifs publiés dans le Monde (notamment : 18 juillet 1996 et 12 mars 1997) appelant à la constitution d’instances d’évaluation dignes de ce nom. Même s’il n’existe aucun système parfait et s’il est souvent bien difficile, particulièrement en sciences humaines, de dire de tels travaux qu’ils feront date ou qu’ils sont sans grande importance – “seuls les morts, dit Platon, ont vu la fin de la guerre” – il n’est pas impossible de réunir les conditions minimales de l’objectivité.

La première de ces conditions est de considérer l’expertise non pas comme une activité subsidiaire, comme un service que l’apparatchik du Ministère, ouvrant son carnet d’adresses, demande à un collègue de sa connaissance. Mais comme une activité à part entière, rétribuée et placée sous le contrôle d’un collège de chercheurs reconnus - où les principaux courants scientifiques de chaque discipline seraient représentés. Les Experts eux-mêmes seraient recrutés par concours, nominalement (et non sur liste) en fonction de la qualité de leurs publications. Pour éviter qu’un tel système n’engendre des experts “professionnels” et ouvre de nouvelles voies parasites de promotion scientifique, la non-rééligibilité devrait être la règle. Tout cela requiert évidemment de la part de ceux qui sont engagés dans la recherche un minimum de “citoyenneté”, dont le défaut fait précisément, comme toujours, le succès des bureaucrates. Si rien n’est a priori plus contraire à l’hygiène intellectuelle du chercheur que de noter son voisin (le processus de la création intellectuelle est tout sauf un travail de caporal), chacun doit savoir qu’il est peu ou prou responsable des choix scientifiques futurs. C’est cette conscience qui doit nous impliquer dans l’évaluation.


B. C.


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