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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloiale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale :
Contribution à l'histoire de l'université de la Réunion (1991-2003)


introduction : éléments d'analyse
présentation thématique
liste chronologique

Visite programmée de l'Adjoint
au Directeur de la Recherche au Ministère

le 1er mai 1999

B. C.
responsable du
département d’Ethnologie
à

Monsieur [X]
Adjoint au Directeur
de la Recherche


Monsieur le Directeur,

Invité par l’Alliance française de Madagascar pour la préparation et pour l’inauguration, ce 17 mai, d’une exposition que je réalise avec l’université d’Antananarivo (dont vous pouvez voir une version en français à l’adresse URL, provisoire car la page est en cours, suivante : <univreunion.fr/~ancel/AMBILA3/index1.htm>), je regrette de ne pouvoir être présent lors de votre visite annoncée du 14 au 17 mai. Je le regrette, car j’aurais souhaité défendre de vive voix le dossier et les travaux de notre laboratoire dont l’habilitation n’a pas été renouvelée. Mes collègues [X et X du département d'Ethnologie] se feront donc un devoir de vous présenter ce dossier qui est, me semble-t-il, emblématique de la situation réunionnaise.

On ne peut rien comprendre à cette situation sans le recours à l’histoire. Dans une lettre personnelle à [X, expert au Ministère], j’écrivais ce qui suit.

L’université de la Réunion se signale par un investissement en infrastructure et en équipement considérable - tous les collègues qui nous rendent visite sont étonnés par l’importance de nos moyens comparés aux leurs : le campus, en voie d’achèvement, est probablement un des plus modernes de France - mais aussi, ce qui est beaucoup moins visible mais tout aussi déterminant, par le caractère spécifique de son personnel universitaire.

Ces deux données sont la conséquence directe de la loi de Départementalisation de 1946 qui a fait basculer en quelques années un pays du Tiers Monde - pour parler vite - dans un mode de vie métropolitain. La création, presque ex nihilo, de routes, d’hôpitaux, d’écoles, de collèges, de lycées a provoqué la venue à la Réunion d’un nombre important de fonctionnaires et de techniciens qui ont été les exécutants de cette transformation : de moins de 500 en 1946, les métropolitains (les natifs de métropole) sont aujourd’hui plus de 50.000.

Tout cela, qui s’est véritablement mis en place dans les années soixante sous l’impulsion de Michel Debré dans un contexte de guerre froide et alors que le taux de croissance démographique de la Réunion devenait un des plus élevés au monde, créait les conditions d’ouverture d’un Centre universitaire (rattaché à Aix-en-Provence), d’un Rectorat, puis d’une Université à part entière.

Au moment où le recrutement du personnel universitaire va s’effectuer, cet investissement n’a pourtant pas encore changé une donnée géographique d’importance : l’éloignement de la métropole (que la récente concurrence dans le transport aérien a permis de réduire notablement en divisant en quelques années le prix du billet d’avion par quatre), car l’époque n’est pas si lointaine où les fonctionnaires partaient en congés tous les trois ans et où le voyage durait... un mois. Dans les disciplines où il n’y a pas de raison scientifique particulière de venir faire de la recherche à la Réunion (soit, essentiellement, la volcanologie, la linguistique créole et l’ethnologie régionale) et alors que la formation n’a pas encore produit les compétences locales nécessaires, les postes ont donc souvent été pourvus “avec les moyens du bord”. Une étude sommaire des profils de carrière montre ainsi, avec un taux de réussite inégalé ailleurs, et pour cause, l’intégration à l’université d’enseignants du primaire, du lycée professionnel ou du collège, largement dépourvus des compétences normalement requises. Le reclassement d’enseignants de la coopération africaine a fait le reste et les invalidations prononcées par le Conseil National des Universités, à 10.000 kilomètres des faits, n’ont rien changé au fond.

Les conséquences de ces données originelles continuent et continueront longtemps à courir. Selon une sélection naturelle qui s’observe partout mais qui se vérifie ici avec une particulière évidence, ceux qui font de la recherche (bien minoritaires) sont rarement en mesure de faire pièce à ceux qui occupent les fonctions de représentation de l’université - qui ne seraient jamais entrés à l’université s’ils n’avaient eu le bonheur de poser leur sac à la Réunion, il y a une vingtaine d’années ou davantage, et qui ignorent (ou veulent ignorer) à peu près tout des règles et des contraintes de la recherche scientifique et de la vie universitaire [...]


Ce constat n’est pas différent de celui que vient de dresser mon prédécesseur Paul OTTINO, portant sur les dix années antérieures, dans une lettre adressée au Directeur de la Recherche, M. [X], et il serait vain d’attendre de cette “première couche de peuplement” qui se perpétue dans ses choix et dans ses recrutements une évolution significative. N’ayant pour ma part aucune ambition administrative, c’est en tant que membre, à ma modeste place, de la communauté scientifique que j’ai à connaître de ces dysfonctionnements. Car ce qui est en cause, c’est la qualité de l’enseignement et de la recherche à l’université de la Réunion, dont chaque enseignant-chercheur, qu’il le veuille ou non, est en quelque façon comptable. Je vais en donner quelques exemples récents.

- Un projet de linguistique appliquée répondant à un appel d’offres de l’AUPELF, dont le responsable est un polytechnicien de Grenoble (il est fait état de ces travaux dans le Monde du 6-7 décembre 1998) et auquel je suis associé (en tant qu’animateur d’un programme national sur les invariants logiques intitulé RÉSEAU - c’est de l’anthropologie fondamentale) pour la partie “Océan indien” vient d’être recalé... par le Conseil scientifique de l’université de la Réunion. Les réponses aux appels d’offre nationaux ou internationaux, au lieu d’être simplement transmises par la voie administrative aux jurys compétents sont ainsi filtrées par la compétence locale.

- Le Ministère a récemment alloué à l’université de la Réunion une importante dotation budgétaire au titre du PPF. La répartition qui vient de nous être notifiée fait une nouvelle fois apparaître que Madagascar a été oubliée dans ce partage - alors que plusieurs projets malgaches étaient soumis au Conseil. La Réunion a certes intérêt à développer ses relations avec l’Afrique du Sud, qui s’est taillée la part du lion. Mais on peut légitimement se demander si la venue à la Réunion de “charters” de collègues sud-africains qui, jusqu’à ce que l’invitation leur en soit faite, ignoraient l’existence de notre île constitue le meilleur emploi des crédits de recherche. La production scientifique de ces financements (j’excepte de cette critique les travaux de nos collègues juristes sur l’Afrique du sud, auxquels je participe d’ailleurs indirectement) est aussi volatile et aussi fongible que le kérosène qui en justifie l’utilisation. En réalité, dans le meilleur des cas, la politique scientifique de l’université de la Réunion consiste à ne mécontenter personne et à neutraliser les projets de quelque originalité en vertu de l’équivalence de toutes les demandes, les instances d’évaluation étant inexistantes.

- Nous organisons, avec l’Institut Universitaire de France et deux autres laboratoires de la Faculté, l’UPRESA et le CRLH, un colloque pluridisciplinaire sur le conte intitulé “L’hospitalité dans le conte”. Ce colloque aura lieu en octobre 1999 et nous devons assumer les invitations régionales. Croit-on que l’université de la Réunion, alors que la venue de deux professeurs au Collège de France est annoncée, va répondre à la hauteur de la confiance qui nous est faite ? Notre budget est à ce jour de... 20.000 F.

- Avec mes collègues [X] et [X] – qui ont d’ailleurs été recrutés à cette fin - nous militons pour ouvrir une formation de DEUG Sciences humaines à l’université. Il existe en effet à la Faculté des Lettres trois Licences en Sciences humaines alors que fait défaut la formation initiale pour y accéder. Cette absence interdit, de fait, l’entrée des étudiants réunionnais dans la filière. Le Ministère a donné un avis favorable à cette création (lettre de Madame [X]) ; dans une lettre adressée au président de l’université, le Vice-Président et le Doyen de Paris V-Sorbonne, ainsi qu’un professeur de Sociologie de ce prestigieux établissement, ont fait savoir qu’ils étaient prêts à appuyer et à s’engager dans l’ouverture de cette formation ; plusieurs personnalités et de nombreuses associations réunionnaises soutiennent ce projet... Mais le dernier mot reste évidemment au Conseil d’administration de l’université.

Je me rends bien compte en rapportant tout cela que j’ai l’air de décrire une contrée visitée par un héros de Jonathan Swift ou de Pierre Boulle... L’université de la Réunion compte bien entendu des enseignants-chercheurs reconnus - et même plusieurs érudits - mais cela ne fait qu’une minorité. La structure administrative des universités est conçue pour que la communauté des enseignants-chercheurs, préservant l’indépendance nécessaire à ses travaux, gère elle-même ses intérêts matériels et moraux. Mais cette structure peut aussi servir, pourvu qu’ils soient en majorité, non pas des intérêts scientifiques et pédagogiques, mais des intérêts entrés par hasard ou par effraction dans la communauté universitaire. Alors que c’est (généralement) sa qualité scientifique et morale qui désigne l’enseignant-chercheur, sans qu’il soit nécessairement candidat d’ailleurs, aux fonctions de représentation, nous sommes ici dans le cas de figure inverse où la représentation devient un métier parallèle et un moyen de promotion scientifique.

La Faculté des Lettres a pourtant connu une notable embellie quand le Doyen en titre, s’étant mis en réserve de l’université dans l’attente de plus hautes fonctions (qu’il occupe aujourd’hui), fit maladroitement appel à un authentique chercheur - qu’il a ensuite poussé à la démission. Nous avons donc vécu quelques mois privilégiés qui ont permis à l’équipe décanale d’organiser la recherche, de nouer des relations institutionnelles avec les universités malgaches et d’instaurer au sein de la Faculté le climat d’émulation scientifique qui sied à une communauté universitaire. Quand ce collègue est retourné à ses travaux après une démission “fracassante” (selon la presse locale), il n’y avait aucun candidat à la “reprise”, le Conseil de Faculté étant celui de l’ancienne équipe. Cette opportunité a évidemment rapidement été saisie : “Ah ! le niveau monte à la Fac des Lettres, a pu déclarer un notable dionysien : ils ont mis trois instituteurs aux commandes” . Le vrai problème est que cette équipe est tout à fait représentative des intérêts intellectuels et moraux de la Faculté et que nous ne sommes qu’un très petit nombre à nous sentir mal représentés. Les plans de carrière “cousu main”, avec leur création de diplômes factices (ce qu’on appelle ici des diplômes “feuilles de tôle”, par référence aux campagnes électorales où un camion rempli de sacs de ciment et de feuilles de tôle suit le candidat...) prospèrent donc dans notre serre tropicale à une vitesse inconnue ailleurs. Visé par un tract du Snesup, veuillez trouver dans les pièces jointes à mon courrier un exemple entre dix, touchant la manipulation d’une commission de spécialistes.

Quand donc le Ministère a déqualifié le C.A.G. au profit du C.I.R.C.I. il a, sans le savoir, tenu l’échelle de ces promotions. Et il s’est dit ici que l’évaluation du Ministère avait accompli à peu près le travail inverse de celui du procureur [X], aujourd’hui en poste en Corse, qui a, lui, mis fin à l’impunité.

Je me permets de vous joindre, pour ne pas vous ennuyer de littérature, le formulaire, à la sobriété spartiate, que vos Services demandent aux enseignants-chercheurs pour l’attribution de la prime d’encadrement doctoral. Il vous permettra, je pense, de juger de l’engagement du C.A.G. dans la recherche régionale et dans la recherche fondamentale. Je vous joins également la lettre que j’ai adressée à mon collègue [X], président de la 20ème section du C.N.U., quand j’ai appris notre liquidation. Si vous en avez le temps, je me permets de vous adresser aussi le texte de la communication que j’ai faite à la séance inaugurale du colloque "Langues et Droits" organisé par la Faculté de Droit de Nanterre. Elle illustre comment des travaux “régionaux” comme ceux que je conduis actuellement à Madagascar (cf. compte-rendu de mission pour l’AUPELF) nourrissent une problématique juridique et anthropologique. Cette communication illustre en outre, puisqu’elle fait appel à des travaux conduits dans notre laboratoire par deux collègues de métropole, la pluridisciplinarité que nous nous efforçons d’imprimer à nos travaux. Je vous joins enfin une lettre que j’ai adressée, à la suite d’une précédente mission à Madagascar, à la Présidente de la Région (qui soutient financièrement désormais nos étudiants qui font leur terrain à Madagascar) et qui était alors aussi Secrétaire d’État à la Francophonie. Le sens de cette lettre était que l’université de la Réunion ne remplira sa mission à la hauteur des formidables outils dont elle vient d’être dotée que si, au lieu de rester une enclave technologique (d’ailleurs sous-employée) dans un environnement d’échec scolaire et d’encadrement médiocre, elle réussit à attirer les meilleures intelligences de la région, de Maurice, de Madagascar, voire d’Afrique du Sud...

Votre visite est annoncée ici par le souci de mettre sur pied les Écoles doctorales. Je crois savoir que les notables qui nous représentent vont vous proposer, pour répondre à cette création, le programme régional que nous avons réussi à réaliser contre eux ou malgré eux. C’est ainsi, entre autres exemples, que, constatant l’absence de tout échange scientifique avec l’île Maurice, Madagascar et les Comores et ayant consacré les vacances australes 1993-1994 à mettre en chantier, après des contacts noués sur le terrain, un programme de recherche intitulé “Les facteurs culturels du développement”, j’ai appris d’un coup de téléphone de Montréal où se réunissait le jury de l’AUPELF que notre projet... avait été bloqué par le Doyen de la Faculté des Lettres et n’était pas parvenu à destination. Je note aussi, au planning très serré qui nous a été communiqué, que vous allez être très encadré. Cela m’a immédiatement fait penser à un voyage que j’ai effectué de l’autre côté du Rideau de fer pendant lequel, ayant pris des libertés avec le circuit accompagné, je me suis entendu expliquer que cette précaution avait pour seul but de m’éviter de faire de mauvaises rencontres...

Je vous souhaite, Monsieur le Directeur, un bon séjour dans notre “île intense” - comme dit la publicité.


B. C.


Pièces jointes
- Formulaire de demande de prime d’encadrement doctoral et de recherche - 1999.
- Lettre à [X], président du C.N.U. 20ème section.
- Rapport de mission à Madame la Secrétaire d’État à la Francophonie.(
doc)
-“Le territoire de la langue”, communication au colloque Langues et Droits, Paris-X, octobre 1998.
- Compte-rendu d’une mission AUPELF (6-31 janvier 1999).
- Lettre ouverte au Président de l’université datée du 13 novembre 1998 (tract SNESup).(
doc)


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