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anthropologie du droit
ethnographie malgache

présentation
3 Éléments d'Ethnographie Réunionnaise
Mots clés : Créolité Ancestralité Citoyenneté Départementalisation Patrimoine
Champs : Anthropologie du développement Anthropologie de l'image Patrimoine
Sociétés créoles Histoire postcoloiale Sociologie des institutions


1- Vingt ans après

2- Barreaux (en construction)
architecture créole

3- "Types de la Réunion" (en construction)
(don à la Société de Géographie du 6 novembre 1885)

4- Ancestralité, communauté, citoyenneté :
les sociétés créoles dans la mondialisation (dossier pédagogique)

5- Madagascar-Réunion :
l'ancestralité (dossier pédagogique)

6- Ethnographie d'une institution postcoloniale :
Contribution à l'histoire de l'université de la Réunion (1991-2003)


introduction : éléments d'analyse
présentation thématique
liste chronologique

"L'homme seul est en mauvaise compagnie"...


le 16 décembre 1996

B. C. [X] et [X]
département d'Ethnologie


à

[N14]


Cher [Collègue],

Bien que les circonstances soient on ne peut plus mal choisies et qu’il puisse paraître déraisonnable d’ajouter des querelles intestines aux difficultés objectives de la vie comme elle va à la Faculté des Lettres, il faut que nous ayons une discussion qui nous permette de travailler ensemble et sans arrière-pensée. Je te propose que nous nous rencontrions, avec [N22], [N19] et [X], le 24 à 14. 30 à Moufia (libre à toi de proposer une autre date si tu ne peux te libérer) pour que nous définissions ensemble quelques règles de fonctionnement.

Ta note manuscrite du 2 décembre pose en effet question sur plusieurs points essentiels. Elle révèle, en réalité, et de manière répétitive puisque nous avons déjà abordé certains points sans que cela modifie en quoi ton point de vue, des appréciations pour le moins aventureuses. Et ce n’est pas le moindre paradoxe de cette affaire que ces appréciations te paraissent baigner dans l’évidence alors qu’elles plongent tes collègues dans la perplexité.

Dans la mesure où nous pouvons être amenés à tout moment à justifier l’utilisation des crédits qui nous sont attribués et dont nous sommes collectivement responsables, il est nécessaire que nous nous mettions d’accord sur les conditions à remplir pour le financement des recherches, à commencer par le financement des missions.

Le bénéfice de frais de mission se justifie par exemple par une communication à un colloque, une enquête de terrain, un stage, etc. toutes actions qui, de toute manière, doivent faire l’objet d’un compte-rendu qui reste dans les archives à titre de justificatif d’utilisation des crédits.

“L’homme seul étant en mauvaise compagnie” (Paul Valéry), il serait de beaucoup préférable que l’attribution des missions se décide collectivement. Ceci pour dire que l’intitulé de ta dernière mission, dont tu nous informes par cette note - pour ne pas parler de ta précédente mission dont Rosita m’a appris qu’elle avait le Bordelais pour destination - laisse tes collègues un peu ébahis. Je vais me rendre moi aussi en métropole et je consacrerai à la recherche tout le temps que je ne consacrerai pas à mes enfants, notre collègue [X] fera de même, mais il ne nous est pas venu à l’idée ni à l’un ni à l’autre de tirer notre billet d’avion sur les crédits de recherche de l’université. Si tu as un déplacement à faire de Bordeaux aux archives d’Aix, ou à Rochefort, alors la prise en charge du déplacement est légitime. Mais l’oreille du Contrôleur financier le moins chicanier ne peut que se dresser [ou devrait] au constat que les dates de tes missions de recherches coïncident avec les dates des congés universitaires.

Si je peux me permettre, je te rappelle qu’on t’a posé un jour la question devant moi de savoir s’il t’était déjà arrivé de prendre en charge le billet d’avion de tes congés en métropole. Je crois me souvenir que tu n’as pas répondu.

La destination des crédits de recherche ne peut pas être d’entretenir nos réseaux de relations respectifs, fussent-ils professionnels. J’ai travaillé au Tchad et au Cameroun. Il me paraîtrait pour le moins inconvenant de peser sur les crédits de recherche de notre laboratoire avec des programmes qui ne seraient pourtant pas sans justification scientifique. J’ai aussi d’excellents collègues au Japon (notamment africanistes) et il me plairait assez d’aller faire un tour (scientifique bien entendu) là-bas. [X] a des relations et des intérêts à Hong-Kong et à Singapour, [X] en Côte-d’Ivoire (où il va se rendre prochainement, mais invité par l’université d’Abidjan), je constate qu’ils partagent les mêmes évidences que moi à ce propos. J’en viens au Canada. Tu as ouvert, de ton propre chef et sans en aviser quiconque, un programme DAGIC ayant le Canada pour objet. Pourquoi pas ? Mais j’imagine que cette adjonction n’a pas augmenté notre enveloppe DAGIC pour autant, c’est-à-dire, sauf erreur, qu’il en est résulté une diminution relative (dans l’hypothèse d’une dotation constante) des crédits bénéficiant à la recherche régionale. Sans doute vas-tu rétablir l’équilibre, mais, pour l’instant, ces crédits n’ont servi qu’à financer ton dernier voyage au Canada, jusqu’à Toronto m’a-t-on dit, pour une mission dont tu es le seul à connaître les tenants et les aboutissants. Étant donné que les crédits nous sont comptés, tu nous accorderas qu’il devrait y être regardé à deux fois avant d’engager un crédit de près de 18 500 F au bénéfice d’un seul chercheur, ce chercheur étant à la fois l’affectateur et le destinataire du crédit en cause. J’avais appris incidemment que tu allais faire une communication acadienne, mais j’étais persuadé que les Canadiens te payaient le voyage, ce que je me suis empressé de dire à Maître [X] qui me demandait où tu étais. C’est par hasard, encore une fois, et par Madame [X] [secrétaire aux Relations internationales], que j’ai su ce qu’il en était.

Derrière tout cela il y a une équivoque qui me paraît personnellement étonnante et dont je n’arrive pas à comprendre qu’elle ne te saute pas aux yeux.

En ton âme et conscience comme on dit, tu parais être convaincu n’avoir à rendre de compte à quiconque des crédits qui sont attribués aux programmes que tu animes. Cette identification des crédits de recherche à ta personne est si profonde que, lorsque tu m’as expliqué le fonctionnement du Centre quand je suis arrivé à la Réunion et que tu me disais : “J’ai donné telle somme à X et telle somme à Y...” tu as réussi à me persuader – involontairement, bien entendu – que tu sortais cet argent de ton propre porte-monnaie ! Il me semble, à l’inverse, qu’une règle de prudence et de sage hygiène comptable serait, pour le moins, de tenir au courant les collègues, comme cela se fait dans tous les laboratoires, de la destination des fonds qui nous sont attribués et de ne tirer pour notre propre compte qu’avec la plus grande circonspection et toujours en fonction d’une argumentation partagée ou avalisée par les collègues. Ce qui permettrait d’ailleurs à ceux-ci, en cas de litige, de défendre cette utilisation. Tu fais exactement la démonstration inverse et tu dois être, avec [X], le principal consommateur de kérosène de la Faculté (encore lui, ayant un dossier d’habilitation à constituer, avait-il un besoin absolu des factures de “Bourbon Voyages”).

Les crédits de recherche qui nous sont attribués sont si peu notre propriété que, si pour une raison ou pour une autre, nous quittions le laboratoire auquel ils ont été dévolus, ils nous deviendraient juridiquement et automatiquement indisponibles. Et cela quand bien même ils n’existeraient pas si tel d’entre nous n’en avait obtenu l’attribution par un projet personnel.

C’est la même conviction sans doute qui explique que, bénéficiant à divers titres de crédits sur le patrimoine et l’ethnicité - dont tu as certes formé et argumenté la demande - il ne te soit pas venu à l’idée que [X], par exemple, qui travaille à un dictionnaire sur le sujet, pourrait avoir besoin de soutien. J’ai l’impression que, dans ton esprit, il doit falloir former des projets concurrents ou parallèles aux tiens pour prétendre émarger au budget “patrimoine”. (Cette philosophie de “chasseur de prime” peut se défendre, mais me paraît difficilement praticable à l’intérieur d’un laboratoire). A l’inverse, il me semble que ce budget devrait être commun et réparti entre tous ceux qui ont quelque chose à dire ou à faire dans ce champ - étudiants de D.E.A. et de thèse compris. Ce qui implique évidemment une discussion et des choix collectifs.

Comme tu peux le constater, la distance est grande entre tes évidences et les évidences de tes collègues. Je propose donc que nous votions sur cette question. Une règle de fonctionnement pourrait consister dans la double signature pour l’engagement des crédits, la seconde étant apportée par celui d’entre nous qui voudrait bien assumer le suivi des comptes.


Cordialement à toi,


B. C.


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