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1 Éléments d'Anthropologie du Droit
Avant-propos : Philippe LABURTHE-TOLRA Doyen honoraire à la Sorbonne
Préface :
Norbert ROULAND Membre de l'Institut Universitaire de France

présentation avant-propos préface introduction plan
index analytique références table illustrations
1- Le souverain juge
2- “Pourquoi le sang de la circoncision...”
3- Dessin du dessein
4- “Authentique ! sans papier !”
5- L“Âme du Mil”
6- “Il faut se battre pour la constitution...”
7- Rire et démocratie
8- Sur l’innovation
9- La “culture des analgésiques” et l’individualisme
10- Du “mariage arrangé” à l’“amour-passion”
11- Du mythe au roman, de la Patrie à la Filisterie
12- La chimie du rire
13- Quelques données sur la prohibition de l’inceste
14- Morale et handicap
15- Le juge, de quel droit ?
16- Droit au sol et mythes d'autochtonie
17- Habiter, cohabiter : sur l’exemplarité
18- Le territoire de la langue : les deux natures



présentation

I - 5.02

Comme le maïs et à la différence du sorgho, du riz ou du blé, par exemple, qui se reproduisent normalement ou majoritairement par autofécondation, le mil a, en effet, un mode de reproduction croisé : le pollen d’une plante va féconder les ovules d’une autre plante. Dans les zones géographiques où le mil est domestiqué, les plantes cultivées coexistent souvent avec les populations naturelles. Cette situation de contact explique que le pollen du mil sauvage puisse venir féconder le mil cultivé .

Dans ses Ressources végétales du Sahara et de ses confins nord et sud, Auguste Chevalier (1932 : 88-89) note que “dans les champs du Sénégal où on cultive le Pénicillaire, on rencontre, mélangé à la céréale, un Pennisetum sauvage qui ressemble beaucoup au P. americanum par sa taille et son grand épi, mais qui ne donne qu’un grain sans valeur. Les indigènes nomment cette plante Diember ou Diembou (wolof), Guimbou (toucouleur), Guimb (sonraï). Un autre Pennisetum qui croît sur la lisière des champs des Pénicellaires est encore plus proche du Mil chandelle. C’est le Déguerem des Wolofs. Il a les épis plumeux blanc-jaunâtres ou violacés. C’est le P. Perrottetii K. Schum. Nous le considérons comme une forme récessive de P. americanum ou un hybride de cette espèce avec quelque Pennisetum spontané. Les indigènes disent que cette plante sauvage est la Fille du Mil chandelle”.

L’autofécondation du blé, par exemple, se réalise du fait que les étamines, organes mâles de la fleur (qui produisent le pollen) et l’ovaire (qui produit les ovules) sont disposés de telle sorte que la fécondation s’effectue en milieu fermé. (Toutefois, quand l’autofécondation ne se produit pas, l’enveloppe de la fleur s’écarte, ovaires et stigmates deviennent ainsi accessibles au pollen étranger ; cette fécondation croisée du blé est exceptionnelle en climat tempéré). L’autogamie aboutit à la stabilité des caractères en quelques générations, le matériel génétique de la plante étant alors formé de deux copies identiques, l’une héritée du pollen, l’autre héritée de la plante mère.


Il en va tout autrement pour le mil, espèce allogame où le brassage est la règle. Le paysan africain sait parfaitement identifier les plants hybrides (le principe de l’allopollinisation n’étant pas perçu par l’agriculteur traditionnel) issus des croisements avec les populations naturelles dont nous venons de faire état. Ces formes “ primitives ” ou “ sauvages ” que la sélection a domestiquées sont parfois neutralisées au moment de la floraison, avant qu’elles ne produisent leur fruit. Il est logique que cette sélection se répète au moment du choix des semences .

Pour le maïs, C.L. Johannesen (“ Domestication Process of Maize continues in Guatemala ”, Economic Botany, 1982, 36 (1) : 84-99, New York) a décrit les rites qui entourent la sélection de la semence et sa culture. Le savoir traditionnel mexicain exploite la nature hétérotique du maïs (hétérosis : vigueur hybride d’autant plus accusée que les parents sont génétiquement éloignés) en faisant jouer la diversité et l’opposition des formes. Ce procès sélectif est supposé répéter ce qui advint, au Xème siècle avant notre ère, quand commença l’“ explosion évolutive ” du maïs (Wilkes, 1977). Les maïs hybrides, aujourd’hui cultivés dans le monde entier, sont d’ailleurs issus de la rencontre historique entre le maïs dit “ corné du nord ”, adopté par les colons qui se sont fixés sur la côte Est de l’Amérique au XVIe siècle, et le maïs dit “ denté du Sud ”, originaire du centre du Mexique et ayant remonté les rives du Mississipi. Cette rencontre a été provoquée par la migration des colons vers l’Ouest, à la fin du XIXème siècle. Le maïs corné s’est alors hybridé avec le maïs denté dans la région des Grands Lacs. La question est ici celle de la capacité du rituel à conceptualiser et à maîtriser le procès de la domestication : les opérations de sélection massale, d’opposition par les formes et les couleurs, d’isolement reproductif ou d’hybridation variétale…



Maïs : allogamie (panicule mâle, épi axillaire femelle)
(dessin de Mathias Lobel, 1591)

Mais la relation de la plante sauvage à la plante domestique n’est pas à sens unique. En retenant certains caractères utiles, la sélection appauvrit la capacité adaptative ou la capacité de résistance de la plante cultivée, ainsi qu’il est apparu dramatiquement, aux Etats-Unis par exemple, quand, dans les années 70, le maïs à cytoplasme T, qui constituait 80 % de l’ensemencement, a été détruit par un champignon parasite. (C’est l’intérêt des conservatoires de semences que de permettre, par un stockage approprié, des croisements qui bénéficient des ressources des populations naturelles. La génétique moléculaire découvre d'ailleurs des croisements tout à fait inattendus à l'origine des formes les plus nobles : ainsi les cépages des plus célèbres vignobles français se révèlent-ils issus du croisement par pollinisation du pinot noir, dont sont issus les rouges de Bourgogne, et du gouais, un cépage de basse extraction qui a pratiquement disparu.)

À l’opposé du temps court et de l’uniformisation qui caractérisent l’agronomie moderne, la pratique de l’agriculteur traditionnel se fonde sur une durée d’expérimentation longue et un savoir empirique qui intègre de nombreuses variables. Dans son manuel de Gestion des ressources génétiques des plantes (1985), Jean Pernès constate, à propos de la culture du mil en Afrique de l’Ouest “ l’existence en équilibre avec les formes cultivées de formes spontanées (shibras, n’douls...) contre lesquels certains cultivateurs n’opèrent qu’une sélection douce. Ceci permet sans doute le maintien dans les cultivars de nombreux facteurs de résistance à des contraintes diverses et multiples, dans le contexte de l’agriculture traditionnelle. Néanmoins les cultivateurs ont présent à l’esprit un type assez précis de leur variété cultivée, reconnaissable pour l’essentiel à la chandelle. Aussi conservent-ils, pour la semence uniquement, les chandelles correspondant à ce type, même si elles ont été partiellement pollinisées par les subspontanés qui, eux, ne sont jamais récoltés pour faire la semence [...]. On observe fréquemment, dans les champs traditionnels, les formes sténostachyum (intermédiaires entre cultivées et sauvages). Le comportement des cultivateurs vis-à-vis d’elles est très varié, certains les arrachent le plus tôt possible, dès qu’ils les distinguent (bien avant la floraison parfois), d’autres ne les arrachent qu’après les avoir reconnus à la floraison... Plus les conditions climatiques sont limitées (sécheresse particulièrement), plus les cultivateurs avisés semblent répugner à leur élimination précoce (certains les appellent “ le père du mil ” ; d’autres : “ tout petit mil semé par Dieu ”). Dans ces zones, les cultivateurs traditionnels experts distinguent même certaines gradations dans leurs degrés de ressemblance avec les formes cultivées. Dans ces mêmes zones, la tolérance vis-à-vis du polymorphisme est remarquable dans les champs de mil. Autour des champs ou dans leur voisinage (un kilomètre est une distance d’interpollinisation effective pour le mil), les formes sauvages ont une floraison généralement très étalée et seulement partiellement synchronisée avec celle des cultivars. À Bambey (Sénégal), ils fleurissent en moyenne plus tard que les Sounas (précoces) et plus tôt que les Sanio (tardifs), ils sont susceptibles de constituer un “ pont reproductif ” entre les deux formes cultivées dont les floraisons sont entre elles plus franchement disjointes. ”

Ces informations, ici retenues pour leur précision, devraient nous convaincre, s’il était besoin, même si on ne saurait les transposer dans leur détail et si la relation d’Adler ne fait pas mention de considérations agricoles autrement qu’à travers le propos - récapitulatif et figuré - d’une “ purification de la semence ” (op. cit. : 360), d’une réalité agronomique : savoir que le mode de reproduction du mil impose à l’agriculteur, sous le concept de la domestication de la plante, une vigilance particulière et une opération de sélection telles que la circoncision peut en constituer le modèle et le répondant.

Présentant le calendrier rituel des Moundang - un calendrier agricole - Adler écrit que “ l’étude de l’agriculture des Moundang est hors de [son] propos ” (333-334). L’exécution de ce programme offre peu de prise à la vérification de l’hypothèse ici présentée. L’appellation “ mil ”, on le sait, est tout à fait imprécise, puisqu’elle désigne à la fois les Sorghos (“ gros mil ”) et les Pénicillaires (“ petit mil ”) ou mil chandelle. Découvreur du pays moundang, le commandant Lenfant écrit, en 1905, qu’on y cultive cinq sortes de mil, “ qui pousse à profusion ”, dont deux espèces de petit mil, le douri et le mouri, “ semés aux dernières pluies et récolté deux mois après ” (Lenfant, 1905 : 114-115). Mais il ne suffit pas que la culture du Pénicillaire soit attestée chez les Moundang (le dessin dû à un enfant de Léré, auquel il a été fait allusion plus haut, représentant le transport de la gerbe, s’il est possible d’y reconnaître les panicules en cause, et le moment de la récolte constitueraient, dans la relation d’Adler, deux indices à cet égard) pour que l’hypothèse ait sens. Pour que les opérations imputées soient possibles, il faut, bien entendu, qu’il existe des populations de mil sauvage à proximité des cultures : une situation d’allopollinisation justifiant la répétition d’une sélection “ originelle ”. On notera dans ce sens que, dans sa Végétation du Tchad (1970), Pias signale la présence de P. purpureum dans le tapis graminéen de la zone concernée, que Malzy (1955) en relève l’utilisation fourragère parmi trois autres espèces sauvages, que Chevalier (1932) voit dans P. mollissimum “ une espèce fréquente dans la zone sahélienne ”, avec P. setosum et P. purpureum et qu’Adler fait ailleurs mention d’une herbe coupée pendant le mois des grosses pluies (juillet-août) dénommée… “ le mil de l’éléphant ”, sworbalé, qu’on peut vraisemblablement reconnaître comme P. purpureum (vivace et rhizomateux) couramment dénommé sissongo (d’après le douala esosongo) ou… “ herbe à éléphant”.

La plante domestiquée résulte de la sélection et de la préservation d’un certain nombre de caractères utiles. Sans entrer dans le détail de ce que les généticiens nomment le “ syndrome de la domestication ”, il est un caractère qui apparaît immédiatement quand on met côte à côte une graminée sauvage et une graminée cultivée. Chez cette dernière en effet, les dispositifs qui permettent la dispersion des graines parvenues à maturité ont disparu en raison de inverse de la concentration et du nombre des graines sur l’épi. C’est probablement l’aspect souvent floconneux de la céréale sauvage, ainsi que sa pauvreté en graines, qui lui valent ce même qualificatif de “ folie ” que lui attribuent de nombreux agriculteurs. Dans les campagnes d’Europe, on nomme “ avoine folle ” (Avena fatua) une plante dont les grains diffèrent peu de ceux de l’avoine cultivée (Avena eliator), mais dont la pousse “ anarchique ” et peu productive est à l’opposé du syndrome de la domestication. (Les Bambara appellent bana-bana “ vagabond ”, le mil qui repousse spontanément : bana signifiant maladie, perte du principe ba - information due à M. Youssouf Cissé ; une autre conception, souvent attestée, est celle de la “ capture ” de l’âme du mil, quand la germination tarde ou quand le grain est vide.) Beaucoup plus haut, plus fort sur tige que celui de l’avoine domestique, l’épi ne porte que quelques graines éparses. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’y a pas nécessairement de différence significative quant à la teneur en protéine de réserve entre la graine naturelle et la graine cultivée . Le sens de la domestication est d’abord autre. La petitesse de la graine constituant, toutefois, un avantage sélectif dans les conditions naturelles. La qualité gustative n’est pas, non plus, nécessairement en cause. A l’inverse, Candolle rapporte, d’après Roxburgh, qu’il existe en Inde un riz sauvage (dont Roxburgh ne doute pas que ce soit la plante originelle) “appelé Newaree par les Telingas, croissant en abondance au bord des lacs dans le pays des Circars. Le grain est recherché par les riches Indous, mais on ne le sème pas car il est peu productif ” (de Candolle, 1883 : 311). Chevalier fera une remarque identique au Baguirmi (voir infra) constatant que le riz sauvage ne donne que de faibles rendements et que sa récolte est laborieuse. “ Ce riz se vend du reste très cher et toujours en petites quantités. Il est considéré comme une denrée de luxe et de fait il a une saveur rès fine ” (Chevalier, 1910 : 407).

Si l’on compare une céréale cultivée et sa forme naturelle, la parenté n’est pas toujours évidente, à la différence du cas qui vient d’être évoqué, tant la domestication a parfois modifié la morphologie originelle. L’exemple le plus frappant est constitué par le maïs (Zea mays), dont la forme sauvage est à ce point dissemblable de la forme cultivée qu’on a longtemps considéré qu’il s’agissait de deux espèces distinctes, et que l’ancêtre du maïs était inconnu. Cette forme naturelle, la téosinte (Euchlana mexicana), possède plusieurs tiges portant de nombreux petits épis constitués d’une rangée de grains triangulaires, tandis que le maïs domestique n’a qu’une seule tige dotée d’un ou deux épis constitués d’une vingtaine de rangées de grains quadrangulaires.

Les caractères qui intéressent l’agriculteur sont ici à l’opposé des caractères qui “ intéressent ” la plante naturelle. Faisant l’hypothèse d’un pied de mil domestique qui retournerait à la nature, on remarquerait sans doute que l’abondance de ses graines - à supposer que celles-ci puissent fructifier durablement sans la main de l’homme - lui donnerait a priori un avantage reproductif. Mais, dépourvues d’enveloppe protectrice et de dispositif de dispersion, arrivant à maturité à peu près toutes en même temps, son aire d’extension et la durée de son ensemencement se trouveront limitées d’autant. Les graines supposées se reproduire seront probablement celles qui auront conservé des caractères rustiques. Le mil cultivé se spécifie par des tiges fortes et peu nombreuses et un épi volumineux fait d’un grand nombre de graines. Le mil sauvage possède de nombreux épis touffus et pauvres en graines ; chacune de celles-ci, pourvue d’une enveloppe complète et enrobée de longues soies, est rattachée à l’épi par un pédicelle qui se rompt facilement ; la graine se détache au fur et à mesure de la maturité et peut être disséminée par le vent. Ce dispositif, qui permet la dispersion maximale de graines dont la maturité est étalée dans le temps, assure une multiplication des chances de reproduction de la plante sauvage. L’intérêt de l’agriculteur est évidemment à l’inverse, il souhaite concentrer la récolte dans l’espace et dans le temps .La stratégie de la domestication peut-être résumée sous ce titre par trois impératifs : de récolte, requérant une co-maturation des graines ; de stockage, requérant un sommeil germinatif en relation avec le cycle des cultures ; d’ensemencement, requérant une réduction des dispositifs de protection de la graine.


Pennisetum glaucum / Pennisetum americanum


Pennisetum alpoecuroides (ornemental)

La technique utilisée par une population relativement voisine des Moundang , qui récolte aujourd’hui le riz sauvage aux abords du lac Tchad, permet de constater ce point pour ainsi dire in illo tempore.


Les données agronomiques auxquelles nous faisons ici référence ne font pas mention du nom de la population en cause. Sachant qu’un riz sauvage local est dénommé Oryza Barthii, il n’était pas illégitime, préalablement à une recherche ayant cette identification pour objet, de se reporter à la relation que l’explorateur allemand donne de son “ entrée [en 1851] dans le pays des Mousgou ”. Il écrit, en effet : “ Le 16 décembre, nous nous remîmes en marche, traversant des contrées où jamais Européen n’avait pénétré. Dès le début, le pays nous offrit un caractère d’un intérêt entièrement nouveau […] Un peu au-delà de Diggera (au sud du lac Tchad), nous rencontrâmes le premier champ de riz sauvage, dont l’aspect nous donna immédiatement l’explication de la mauvaise qualité de ce produit ; c’était l’intelligent éléphant qui faisait la première récolte, et les Schoua qui s’en occupaient principalement, devaient se contenter du reste ” (Heinrich Barth, op. cit. : 21-22.)
C’est, en effet, Chevalier qui proposa l’appellation du riz sauvage africain en hommage au voyageur allemand. Il cite Barth en ces termes : “ Le riz ne se cultive pas (au Baguirmi) mais après les pluies on le glane en grande quantité dans les forêts où il croît dans les marais ou les lacs intermittents. Un plat de ce riz préparé avec de la viande et un bon morceau de beurre forme réellement un des seuls mets passables dont je goûtai au Baguirmi. Nous trouvons Barth sévère pour la cuisine africaine, poursuit Chevalier. Nous avons dégusté son riz chez le sultan même du Baguirmi (en 1903) et chez le fama de Sansanding sur le Niger (en 1910) et nous le considérons comme un aliment non seulement passable, mais des plus agréables”.
“ Comme pour toutes les céréales rencontrées à l’état sauvage, observe Chevalier, les grains mûrs de l’Oryza Barthii se détachent de l’épi avec la plus grande facilité ; aussi pour faire la récolte, on ne peut songer à couper les pailles, car on perdrait tout le grain. Lorsque la maturité est arrivée, les indigènes procèdent de la manière suivante : ils circulent à pirogue à travers les prairies aquatiques, et tenant d’une main une sorte de panier ou une calebasse, ils frappent les épis et les graines (avec leurs longs barbillons) viennent tomber dans le récipient. Si la saison est trop avancée, les graines détachées flottent à la surface des eaux dormantes : on les recueille avec une calebasse ” (Chevalier 1910 : 406-7). Paul Créac’h (1941 : 43-44) donne une description (avec figures) d’un tel panier de cueillette (dit sos-sal), utilisé pour récolter le riz sauvage ou le Kreb (terme générique désignant les Graminées sauvages faisant l’objet de cueillette) au Moyen-Tchad. Il s’agit d’une vannerie tressée munie d’un couvercle fait de courroies entrelacées ou de cordelettes assemblées à la manière d’une toile d’araignée. Battus par le couvercle, les épis mûrs laissent tomber les graines à l’intérieur du panier, tandis que le chaume est retenu par la toile d’araignée.
On notera, parmi les Graminées ainsi récoltées, en majorité des Panicées, la présence de Pennisetum Prieurii, relevée par Créac’h.
En septembre 1903, Chevalier a pu observer une moisson de Kreb chez les Goranes. “ On recueille les graines le matin à la rosée avec un panier tressé en Doum nommé Sompo. Le glaneur de Krebs parcourt la steppe herbeuse à grandes enjambées en heurtant avec son panier le sommet des herbes dont les graines sont mûres et se détachent facilement. La secousse les fait tomber dans le panier dont le couvercle en se rabattant aussitôt en clapet les empêche ensuite de sortir. Un travailleur adulte peut récolter une dizaine de kg de Krebs dans sa matinée ” (Chevalier 1932 : 139).
L’importance de ce type de cueillette est donnée par l’indication qu’“au début de l’occupation française […] les riverains [du Niger] vivaient en partie du produit de ce ramassage d’Oryza Barthii [et que], pendant les années qui suivirent l’occupation des Territoires du lac Tchad, de 1900 à 1906, dans toute la région située au sud du lac Baguirmi, Pays Kotoko, Dagama (lac Fittri), l’impôt fut levé, pour nourrir les troupes du corps d’occupation, en partie en graines de Graminées sauvages ” (op. cit. : 88, 139).
Dans une courte note sur les rituels agricoles chez les Banana-Kolon et les Marba de la région du Logone, Catherinet (1954 : 42) fait mention d’un panier de cueillette de Graminées sauvages (Digitaria adcendens, nom vernaculaire : avaleirava ; Paspalum scrobiculatum, nom vern. : mighirmidenha ; Brachiara stigmatisata, nom vern. : adeltchaka ; Dactyloctinim aegyptium, nom vern. : madana ; Setaria pallidifusca, nom vern. : berengha ; peuplements “ homogènes et permettant une récolte importante ”) utilisé selon la méthode dite de fauchage. “ Les femmes progressent en ligne, dans la prairie, et frappent les panicules ou les épis sauvages à l’aide d’une grande calebasse, de 40 à 50 centimètres de diamètre, dans laquelle s’en trouve une plus petite, en forme de cuiller retournée dans le fond de la grande. Les faucheuses progressent lentement, avec un grand geste de droite à gauche, puis de gauche à droite, à chaque pas. Les graines tombent dans la calebasse et sont retenues par la cuiller qui les empêche de s’envoler. ”


La cueillette du riz sauvage s’effectue à l’aide de paniers lancés à la volée sur les épis d’où ne se détachent que les grains arrivés à maturité. Pour limiter le nombre de passages tout en augmentant la quantité de graines récoltées, un procédé consiste à lier sur pied, au moment de la floraison, des gerbes d’épis de telle sorte que les grains, au lieu de se répandre sur le sol, resteront emprisonnés dans les barbes. Dans la continuité de ce processus pour contrarier la nature, il suffit au proto-agriculteur de semer les graines qu’il recueille préférentiellement - celles qui tombent dans son panier de cueillette - pour opérer automatiquement la sélection d’un caractère utile. Pour ce qui concerne le mil, Pennisetum mollisimum, récolté par les Touaregs, sous le nom d’Ebeno, et Pennisetum Prieurii, l’une des graminées de cueillette dite Kreb (Uphof, 1968 et Créac’h, 1941), ces espèces spontanées sont regardées comme des ancêtres probables des formes domestiquées. (Brunken et al. 1977 ayant montré les titres de Pennisetum americanum subsp. monodii à cette attribution.)

*

Circoncire la graine, ce serait donc répéter la sélection des caractères utiles, par opposition aux caractères naturels. Induire la nature par la société.

Bien que la césure de la circoncision puisse signifier formellement, parmi d’autres valeurs, une opération de purification et viser ici une propitiation, et que le sorgho, pourtant autogame, soit aussi sujet à l’allopollinisation (Dogget, 1988), l’hypothèse suggérée se développe idéalement pour le mil, que les conditions de sa reproduction soumettent à un véritable “ déluge pollinique ” provenant des populations naturelles dont il est issu. L’analogie de la culture est une homologie quand répéter symboliquement l’opération d’arrachement de “ l’âme folle ” qui siège dans le prépuce du sauvageon humain, c’est arracher “ l’âme folle ” du mil. La figure de style révèle un savoir agronomique ; la figuration rituelle est la mise en scène d’un pouvoir sur la nature.

Exposer comment le savoir empirique qui contrôle la domestication de la céréale peut-être mis en œuvre dans un modèle anthropomorphique ; comment le pouvoir de l’homme sur le monde peut s’autoriser d’une participation de l’homme au monde ; comment le rite, ce modèle spécifique (ou “ sympathique ”), contient une information positive et n’est nullement dénué de cette objectivité que nous caractérisons par une rupture de l’homme avec la nature et qu’il peut faire l’objet, à ce titre, d’une recherche systématique, c’est l’idée d’une enquête d’anthropologie cognitive sur les savoirs traditionnels qui prendrait (elle aussi) les rites au sérieux.


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